Maurice Nadeau : «Les “Mémoires d’outre-tombe” d’André Malraux», 1967.

Maurice Nadeau, «Les “Mémoires d'outre-tombe” d'André Malraux», La Quinzaine littéraire, 15-30 septembre 1967, n° 35, p. 16-17.

 

Ses admirateurs aimeront ici le retrouver. Ils y verront ce que les œuvres précédentes, sous d'autres formes, leur ont déjà livré. Ceux pour qui l'écrivain s'était peu à peu éclipsé derrière le ministre éprouveront un plaisir plus vif : celui de se laisser reconquérir et comme porter au-dessus d'eux-mêmes par une voix qu'ils s'étaient désaccoutumés d'entendre, plus forte et plus persuasive que celles qui lui font écho dans la littérature d'aujourd'hui. Une comparaison vient à l'esprit et un nom sur les lèvres. Malraux vient d'écrire ses Mémoires d'outre-tombe.

Non qu'il façonne son piédestal et veuille prendre devant l'Histoire une pose avantageuse. La figure qu'il fait, celles qu'on lui prête lui sont indifférentes et il ne s'est jamais soucié de plaider pour lui-même ou de se justifier. Ministre de De Gaulle comme l'autre le fut de Louis XVIII, il a rencontré en tant que tel Nehru et Mao Tsé-Toung. Ce n'était pas pour leur tenir tout à fait des conversations de ministre. Son prédécesseur dans le genre, quand il parvenait à faire taire en lui le vicomte ou le ministre, incarnait une certaine idée du gouvernement des hommes et n'était pas aveugle au sens que prenait l'histoire. N'avons-nous pas entendu déjà chez lui ce dialogue avec Dieu, ou avec l'histoire, celui de l'écrivain avec la mort ?

 

Un dessein important

Dans des phrases dont l'éloquence à la fois nerveuse et somptueuse porte le deuil du jeune dandy qui écrivit Royaume farfelu et Lunes en papier – tout comme, dans les Mémoires d'outre-tombe, le conseiller dédaigné de la légitimité prenait congé de René – un dialogue se poursuit : avec l'Histoire, avec la transcendance – quels que soient ses visages et ses noms –, avec la mort. Amateur modéré de Mémoires – qui s'intéressent trop aux «secrètes actions des individus» –, peu enclin à l'introspection –, la psychanalyse l'a ruinée –, moins soucieux des «petits faits vrais» que des grandes actions et des grands destins et persuadé qu'un artiste révèle suffisamment de soi dans son œuvre, Malraux pouvait appeler «Antimémoires» un ouvrage qui fait fi du souvenir pour le souvenir, du secret dit intime, de la révélation cancanière. Un dessein important le hante sur lequel il a bâti son œuvre : «L'homme qu'on trouvera ici, c'est celui qui s'accorde aux questions que la mort pose à la signification du monde.» Dostoïevski, déjà…

 

 


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