Francis Crémieux, «Les grandes manœuvres du colonel Malraux», «La Marseillaise», 23-29 avril 1947, n° 136, p. 1.

— Je veux une certaine forme de la puissance, et je l'obtiendrai ou tant pis pour moi.

— Tant pis, si c'est manqué ?

— Si c'est manqué, je recommencerai, là ou ailleurs.

(A. Malraux, Les Conquérants.)

 

Les journaux nous apprennent que M. André Malraux dirigera la propagande du Rassemblement du peuple français. Pour qui se souvient du rôle de Goebbels dans l'appareil du nazisme, c'est là un poste de choix. Ne connaissant pas le programme du R.P.F., non plus que les idées de son délégué à la propagande, j'ai puisé chez Malraux romancier, des renseignements sur Malraux, ministre : «Engagé par Sun Yat-Sen avec le titre de «conseiller juridique» aux appointements de 800 dollars par mois; chargé de la réorganisation et de la direction de la Propagande (son poste actuel). Individu énergique, mais sans moralité. Semble être pour beaucoup dans l'enthousiasme indéniable que rencontre ici l'idée d'une guerre contre les troupes anglaises. A fait des sept services de la police, publique et secrète, autant de services de propagande. A créé un «groupement d'instruction politique» qui est une école d'orateurs et de propagandistes…» Il y a certains rapports entre ce portrait et l'action du R.P.F., et ce n'est pas un hasard si l'homme du général est présenté aujourd'hui par la presse bien-pensante comme un personnage de légende, le plus grand aventurier du XXe siècle.

Je n'ai pour ma part qu'une confiance limitée en cette littérature, je lui préfère les faits et à travers les nuages dont on entoure le romancier, le cinéaste, le héros et l'existentialiste, j'aime à voir se dessiner le «politique». Sa propagande, pour donner confiance à la masse, a beau claironner que Malraux vient de la gauche, il est sans mystification possible l'homme de la réaction. Les libraires savent que sa clientèle a toujours été une clientèle bourgeoise, et si, en matière d'aventure, Henry de Monfreid, ne retient plus l'attention, c'est qu'il ne «politisait» pas assez l'aventure.

En 1937, François Mauriac le dépeint en ces termes : «Il ne sait pas plaire ce Malraux, en dépit des folles acclamations qui l'accueillent. Il ne mâche pas ses mots à cette foule venue pour entendre des paroles consolantes : “Toute la question est de savoir si nous arriverons à transformer la ferveur révolutionnaire en discipline révolutionnaire”.» Voilà comment Malraux livrait à domicile une image de la «Révolution» aux intellectuels en pâmoison. Mauriac père le souligne, «il ne leur mâche pas les mots», tout heureux de voir un homme de sa classe en imposer à la masse, la malmener… «Il ne sait pas plaire…», Mauriac s'en réjouit, Malraux est de son bord, il n'est pas vraiment avec le peuple qui instinctivement se défie de cet homme qui érige en problèmes des questions élémentaires d'organisation. Mauriac ajoute : «Lorsque le héros quitta l'estrade, la température de la salle avait baissé. Les acclamations tournèrent court. Malraux rentra dans sa solitude.


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