Gilbert Sigaux, «Malraux : un nouveau musée imaginaire», «Arts», 29 septembre – 5 octobre 1965, p. 3-4.

André Malraux va publier, dans la collection «Idées Art», le premier volume des Voix du silence : Le Musée imaginaire. Les remaniements apportés au texte des éditions précédentes ne constituent pas une adaptation pour une collection populaire, mais un troisième et dernier état de la version définitive des Essais de psychologie de l'Art, dont la première édition date de 1947-1948-1949. Cette publication nous donne l'occasion d'une étude dans notre série «Documents», sur les idées et la situation d'André Malraux, critique, essayiste et historien d'art.

 

Un jour de 1919, un jeune homme d'allure distinguée, simplement mais fort correctement vêtu… Cela pourrait être le début d'un chapitre de Paul Bourget – ou même d'un auteur de moindre envergure. C'est le début du portrait d'André Malraux à dix-huit ans par le dernier en date de ses biographes, un universitaire belge, André Vandegans. Dans les quatre cent cinquante pages, grand in-8 de son livre, la Jeunesse littéraire d'André Malraux, essai sur l'inspiration farfelue (Jean-Jacques Pauvert), il a étudié l'œuvre de l'écrivain pendant les années 1919-1928.

C'est, disons-le en passant, un travail à la fois minutieux et passionnant, une enquête de chercheur formé comme on dit aux «strictes disciplines universitaires» mais aussi une reconstitution, et parfois une manière de résurrection infiniment savoureuse, par l'accumulation même des détails, des recoupements, des notations de toute sorte. André Vandegans a interrogé cent témoins qui n'étaient pas tous, loin de là, des témoins «fixés» dans des pages de livre… Et il a, aussi, lu tous les articles écrits par Malraux durant ses années de formation. Il a composé, de toute cette matière, une vivante chronique autant qu'une savante et rigoureuse étude.

Ce jeune homme «d'allure distinguée» a dix-huit ans et connaît déjà fort bien la bibliophilie, les bouquinistes, les éditions rares et leurs cotes. Il met sa science au service d'un curieux homme, libraire et écrivain (bientôt éditeur), René-Louis Doyon qui tient Galerie de la Madeleine, une librairie-cabinet de lecture. A partir de 1923, il publiera les savants, personnels, savoureux et injustes à l'occasion (cela va de soi), Carnets du Mandarin, puis ses souvenirs, Mémoires d'un homme, où il est question du Malraux des années 1919-1924, qui «china» chez les bouquinistes, sur les quais, pour Doyon, écrivit son premier article (sur la poésie cubiste) dans le numéro 1 de sa revue la Connaissance et publia, sous le signe de la même Connaissance, une édition de textes inédits de Jules Larforgue.

Mais c'est ailleurs qu'il faut aller chercher Malraux, en ces années d'après-guerre où naît et se développe sa vocation artistique. En 1918-1920, il rencontre Max Jacob, André Salmon, puis Florent Fels et quelques autres qui ont fondé la revue Action, «cahiers individualistes de philosophie et d'art» où les arts plastiques occupent une grande place et à laquelle collaborent beaucoup d'écrivains : Max Jacob, Cendras, Salmon, Cocteau, Aragon, André Suarès, Carco, Eluard, Radiguet, Tzara, Cassou, Antonin Artaud, Benjamin Peret, Fernand Fleuret, Claire et Ivan Goll, Gorki, Ehrenbourg, Alexandre Blok, Pascal Pia qui restera l'ami de Malraux et Georges Duthuit (qui publia en 1956, chez Corti, les trois volumes du Musée imaginaire, essai polémique et critique).


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