La deuxième chaîne a présenté, lundi soir, un document exceptionnel : un entretien d'une heure d'André Malraux avec Jacqueline Baudrier, directrice de «24 heures sur la 2», à l'occasion de la sortie de son livre Les Chênes qu'on abat, dans lequel l'ancien ministre de la Culture retrace la dernière conversation qu'il eut avec le général de Gaulle, à Colombey, en décembre 1969. Cette émission a été tournée, en secret, par François Reichenbach, au château de Verrières (30 km au sud de Paris), où habita jusqu'à sa mort Louise de Vilmorin.
«Après mon entretien avec le Général, dit Malraux, j'aurais pu faire une sténographie. Mais la syntaxe parlée n'est pas la syntaxe écrite et dès qu'on les fixe par écrit, les paroles deviennent des oiseaux morts. En vérité, ce n'est pas une photo que j'aurais voulu faire : c'est un Gréco…»
On dirait qu'il lui pousse des mains partout; comme un prestidigitateur ses foulards, il en sort de sa bouche, du col, des oreilles. Abrité derrière ce foisonnement de doigts, on ne voit guère que son regard, sa mèche, son dos voûté. En face de lui, Jacqueline Baudrier, qui a la nuque raide et le menton pointu, le regarde avec une expression d'intense satisfaction; ce quasi-monologue d'André Malraux, cette anti-interview est un document parfait : pas une redite, pas une hésitation. Les téléspectateurs ont pu en juger lundi soir. Plus que de la grande, c'est de la haute télévision : le «Portrait-Souvenirs» de De Gaulle par son meilleur interprète.