Madame Christiane Moatti, qui a participé très étroitement à l’édition du sixième et dernier tome des Œuvres complètes de Malraux (Pléiade), présente ce volume dirigé par Jean-Yves Tadié et à la publication duquel François de Saint Cheron et Philippe Delpuech sont aussi collaboré.
André Malraux, Œuvres complètes, Gallimard, 2010, «Bibliothèque de la Pléiade», vol. VI : Articles, préfaces, essais, discours.
Le dernier volume des Œuvres complètes d'un écrivain, en Pléiade, est généralement le moins intéressant ; c'est l'exploitation de ce qu'on pourrait appeler des laissés pour compte. Le cas de Malraux est différent. A chaque époque de sa vie, l'homme a été tenté de se jeter à corps perdu dans de nouvelles expériences qui le détournaient des précédentes encore en cours – articles de critique littéraire, récits poétiques « farfelus », romans, textes de critique d'art, discours politiques… Aussi a-t-il laissé derrière lui dans cette course en avant des textes inachevés, des tomes I sans tomes II, des esquisses et des projets… Ce volume VI permet de lire dans leur ordre chronologique des écrits demeurés pour la plupart inconnus ou difficilement accessibles, depuis le premier texte paru à sa signature alors qu'il n'a pas encore vingt ans, jusqu'au dernier, posthume, publié plus d'un demi siècle plus tard. Ils nous font entrer dans un univers singulier, découvrir comment s'est formé et a fonctionné cet esprit aux curiosités insatiables, comment, en s'additionnant, celles-ci ont fait naître en lui des intuitions sans précédent. La prise en compte de tous ces écrits de diverses longueurs, qu'il n'a jamais songé à republier, nous révèle des aspects attachants de l'homme comme de l'écrivain. Exigeant envers lui-même, il n'a souhaité pérenniser que ses œuvres maîtresses. Dans ce refus de la reprise d'écrits en recueil, une exception : les Scènes choisies, publiées en 1946 pour annoncer son retour sur la scène parisienne après cinq années de silence volontaire sous l'occupation, et surtout pour soutenir son éditeur Gaston Gallimard qui avait besoin de redorer le blason quelque peu terni de sa maison d'édition. Les passages que Malraux retient pour cette publication concernent évidemment les moments-clés de ses grands romans engagés (Les Conquérants, La Voie royale, La Condition humaine, Le Temps du mépris, L'Espoir), mais accordent une place non négligeable à des scènes qui avaient été ressenties à l'époque plutôt comme des digressions. En fait, elles concernaient les champs dans lesquels l'écrivain s'était totalement investi après la publication de L'Espoir : les arts sous toutes leurs formes et la réflexion éthique, présents dans La Lutte avec l'ange publié à l'étranger.
A propos de ce volume VI, je parlerai essentiellement des textes que j'ai commentés, à la suite du partage fait avec François de Saint-Cheron. Je me suis chargée des premiers articles de critique littéraire qui me semblaient révéler ce qu'a été l'apprentissage du jeune Malraux. Comme tous les écrivains, il a commencé par être un lecteur, ce qu'il demeurera toute sa vie. Ses premiers comptes rendus montrent qui furent ses premiers maîtres : essentiellement Max Jacob et André Gide ; on voit comment, à leur contact, s'est forgée progressivement sa propre esthétique, dont L'homme précaire et la littérature marque l'aboutissement.
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INEDIT / © www.malraux.org / 15 décembre 2010.