Quand Malraux publie ses Scènes choisies (juin 1946), il est tiraillé par des forces contraires concernant autant l'antinomie de la politique et de la fiction (contrariété que L'Espoir avait exprimée au moyen de l'« Illusion lyrique »), que celle qui oppose divers projets littéraires aux visées fort différentes. Dès 1940, il a mené de front quatre entreprises gigantesques : un vaste roman sur les guerres mondiales et la Résistance (La Lutte avec l'Ange), une biographie de l'action audacieuse et trouble de T. E. Lawrence (Le Démon de l'Absolu), un récit des entreprises aventureuses et farfelues de Marie-Charles David de Mayrena (Le Règne du Malin), l'analyse du ressort secret de la création artistique et de sa signification (la Psychologie de l'art). En 1945, seul le premier tome de La Lutte avec l'Ange a été publié (1943) : les deux autres volumes sont à peine esquissés. Si le Démon et le Règne sont quasi terminés, leur état ne satisfait pas du tout leur auteur qui va désormais en nier l'existence jusqu'à ce que Clappique (pour le second titre) ou sa propre mort ne les fassent resurgir. La Psychologie, publiée en trois tomes par Skira (1947, 1948 et 1950), sera immédiatement reprise et l'entreprise complètement refondue (la nouvelle œuvre, Les Voix du silence, sera publiée en 1951). Tout se passe comme si Malraux appliquait à l'ouvrage qu'il compose et qui avorte sans cesse le jugement dépréciatif qu'il trouva dans la correspondance de Lawrence : sous la plume de l'aventurier anglais, « N'était-ce que cela ? » (ou une expression équivalente) désigne en effet le constat désespérant de l'impossible création esthétique, l'amertume éprouvée quand une œuvre est incapable de se hausser au niveau de l'épopée qu'elle aurait dû porter. « N'était-ce que cela ? » peut en effet assez bien résumer la sorte de grave crise morale que Malraux traverse durant les années d'après-guerre et qui contribuera certainement à affaiblir sa santé au début des années 50.