art. 151, janvier 2013 • François de Saint-Cheron : «André Malraux et Georges Rouault» (PAM n° 2, 2001-2002)

François de Saint-Cheron, maître de conférences à l’Université de Paris-Sorbonne, évoque le troisième article d’André Malraux critique d’art : celui qu’il consacre à Georges Rouault, dont l’art, hanté par le tragique de la condition humaine, n’a cessé de le hanter lui-même.



En décembre 1929, paraît dans le numéro 1 de la revue Formes un article d’André Malraux intitulé «Notes sur l’expression tragique en peinture, à propos d’oeuvres récentes de Rouault». A cette époque, Malraux est âgé de 28 ans; il a déjà publié La Tentation de l’Occident et Les Conquérants. Rouault, lui, est son aîné de trente ans puisqu’il est né en 1871. Il a déjà exposé au Salon des Indépendants et dans des galeries, notamment à la galerie de la Licorne (comme Galanis) et à la galerie Barbazanges (comme Chagall). Son inspiration est largement religieuse, mais il a peint aussi des clowns, des juges, des paysages urbains. En 1929, Malraux et Rouault ne se connaissaient vraisemblablement pas. Marcel Arland à qui j’avais posé la question me répondit que lorsqu’il rencontra lui-même Rouault pour la première fois, en 1930, Malraux n’avait encore jamais vu le peintre.

Dans son article, Malraux écrit d’abord que la mort obsède Rouault «de la façon la plus menaçante», puis constate que dans la partie profane de l’oeuvre du peintre, l’amour est absent ­– «comme si l’amour, pour celui qui entretient avec le monde les rapports qui sont ceux de Rouault, ne pouvait s’exprimer que par la figure du Christ».

Malraux prend soin ensuite de bien distinguer Rouault d’un peintre dont on le rapproche parfois : Daumier. Pour le jeune Malraux, la peinture de Rouault ignore les modèles; elle est aussi peu «soumise au monde extérieur» que possible : «Il y a, au Palais, des juges de Daumier, en Espagne des saltimbanques de Goya, en banlieue des paysages de Vlaminck; il n'y a ni juges, ni filles, ni clowns de Rouault hors de ses toiles, comme il n'y eut jamais de personnages de Grünewald.» Cette référence à Grünewald est importante, elle marque une sorte de communauté d’esprits, parce que Malraux écrira, quatre ans plus tard, en parlant de La Condition humaine : «C’est un livre expressionniste, comme l’oeuvre de Grünewald.» Mais surtout, elle présente Rouault comme un artiste aussi singulier que le grand peintre allemand.

Selon Malraux, Rouault «n’attend pas des couleurs un équilibre, mais une signification; son art ne s’exprime pas en fonction du mot beau, mais du mot être». Cette dernière phrase doit évidemment être soulignée : Malraux dira souvent que l’art ne doit pas être confondu avec la beauté, allant jusqu’à écrire qu’elle rend «inintelligible notre relation avec l’art».

Et le jeune critique achève son article en esquissant un rapprochement entre Rouault et Rimbaud : «Tous deux disent à un Dieu qu’ils n’acceptent pas son univers; mais Rimbaud est assez grand pour rester seul et le Dieu de Rouault lui répond qu’il y a aussi Satan.» Assez grand pour rester seul : on entend ici comme un écho de ces lignes d’ A.D. à la fin de La Tentation de l’Occident : «Il est une foi plus haute : celle que proposent toutes les croix des villages […]; je ne m’abaisserai pas à lui demander l’apaisement auquel ma faiblesse m’appelle.» Malraux est sans doute plus proche de Rimbaud que de Rouault, mais le monde de ce dernier l’interroge.

 

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© www.malraux.org / Présence d’André Malraux sur la Toile

Texte mis en ligne le 1er janvier 2013

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