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«André Malraux. Prix Goncourt et Ministre», «La Presse», 27 novembre 1945, p. 1.

André Malraux

Prix Goncourt et Ministre

 

Le ministère a le Prix Goncourt : André Malraux est ministre de l'Information.

André Malraux est à la fois écrivain et homme d'action. La Vie et la vie de l'esprit s'unissent en lui de la façon la plus étroite. Il est un aventurier dans le sens propre, il est l'homme qui recherche l'aventure.

On se bat en Chine ? Il y court. On se bat en Espagne ? Il y vole. On se bat en France ? Il y reste. Cette fois l'aventure est à domicile; pas besoin d'aller la chercher. Mais, chaque fois, il épouse la querelle des hommes. Il prend part à l'action. Il s'y engage jusqu'au cou. Il vit dangereusement.

Formé à l'Ecole des langues orientales, chargé de missions archéologiques, Malraux aurait pu se contenter d'exhumer des mondes disparus ou de survoler, comme il l'a fait, en compagnie de Corniglion-Molinier, le royaume fabuleux de la reine de Saba. Il aurait pu n'être qu'un savant doublé d'un écrivain. Mais c'était compter sans son tempérament fougueux : à l'étude des mondes morts, il a joint la recherche passionnée des mondes nouveaux qui s'élaborent dans la confusion et dans le sang. Voir Chine et voir Espagne. Deux aventures, deux livres.

A Canton, il participe à l'organisation du Kuomintang et apporte un peu d'esprit européen dans le désordre de la vieille Chine en ébullition; en Espagne, il organise la première escadrille d'aviateurs étrangers; et, quelques années plus tard, dans le maquis français, il retrouvera, transposés à la mode franco-allemande, dans les paysages du Lot-et-Garonne et de la Corrèze, le drame chinois et le drame espagnol. Malraux a disparu – ou plus exactement s'est retrouvé dans la personnalité du colonel Berger – son propre héros. Film bien conçu et mené suivant la technique américaine et le rythme du Far-West. Dynamite. Blessure. Arrestation. Gestapo. Délivrance par les F.F.I. Combats sur le Rhin. Victoire. (Sans oublier le prologue : son évasion de 40). Suite de péripéties qu'en d'autres temps, on serait allé chercher dans une salle de quartier.

 

Malraux a, tout naturellement, trouvé dans la résistance, son climat. Il est né résistant.

D'une indépendance de caractère folle, toujours prêt à embrasser fougueusement – et gratuitement – la cause qu'il estime juste. Il a, au fond, un certain mépris pour les hommes. Il est plus haut que la moyenne. A travers son semblable, il cherche le type intéressant. S'il le découvre, il se livre et l'adopte : sinon, il garde ses distances.

Il a des amis, mais personne n'ose l'affronter de face. Personnalité d'un bloc; caractère entier mais séduisant malgré cela, en raison même du rayonnement de sa personnalité et de sa vaste érudition. Doué d'un sens profond de la justice. Juste jusqu'à la dureté, mais dépourvu d'esprit sectaire.

 

Voilà l'homme qui, aux yeux des bien-pensants, fait figure d'enfant terrible. Cet homme qui a horreur de la publicité, a fréquenté plus les révolutions que les salons et ne se rappelle au Tout-Paris que par un livre puissant, entre deux plongées dans les drames du monde moderne, cet homme le voilà, du jour au lendemain, bombardé ministre, officiel et consacré. Flanqué d'un chef de cabinet, d'un huissier à chaîne et contraint de donner des conférences de presse.

La littérature mène à tout…


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