Reprise du texte d’une importante conférence de J.-M. Maulpoix, avec l’aimable autorisation de l’auteur. L’article avait paru en 2000 sur le site littéraire de Jean-Michel Maulpoix : http://www.maulpoix.net/Malraux.htm.
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Parmi les grandes figures de la littérature française du XXe siècle, celle d'André Malraux se détache de façon très singulière, dramatique, insistante, agressive presque, au point que certains négligent à présent en lui l'écrivain pour ne plus se souvenir que du colonel Berger en béret et veste de cuir au temps de la Brigade Alsace-Lorraine, ou du vieillard agité de tics qui répond en haletant aux questions de Claude Santelli, ou encore du fameux portrait d'un Malraux jeune à la cigarette, transformé en Malraux non-fumeur sur un timbre à 3 francs dessiné par Marc Taraskoff, pour cause d'hommage national et de loi anti-tabac.
Il n'est aucun écrivain français de ce que l'on pourrait appeler « l'âge pré-médiatique » (je veux dire, grosso modo, d'avant les années 70-80) dont la destinée ou la carrière se laisse à ce point feuilleter comme un album de photographies. Malraux seul, ou accompagné, Malraux en pied, prenant la pose : devant des statues khmères, au Siam, en 1923; avec Julien Benda et André Gide à la Mutualité en 1935; devant un Potez 54 de l'escadrille « Espana » en 1936; discutant avec De Gaulle, une main dans la poche gauche de son veston, en 1965; tenant le bras de Michel Debré en 1968 sur les Champs-Elysées; ou encore rêvant à soixante-dix ans de partir pour le Bengadesh, assis au coin du feu avec ses chats, à Verrière-le-Buisson, chez Louise de Vilmorin… Malraux, c'est une figure, ou plutôt un emboîtement indéfini de figures. C'est aussi une trajectoire à bifurcations et rebondissements: portrait du débutant habillé de tweed ou de soie, une rose à la boutonnière, en jeune homme dilettante, chineur, revendeur et éditeur avant guerre de livres d'art parfois érotiques, aventurier plus ou moins trafiquant parti au Cambodge à la recherche de statues khmères, révolutionnaire anticolonialiste, Prix Goncourt 1933, communiste engagé au côté des républicains dans la guerre d'Espagne, résistant, mais tardif, commandant de la Brigade Alsace-Lorraine, cofondateur du R.P.F., Premier Ministre de la Culture de la Ve République, théoricien de l'art, mémorialiste, et à présent cendres au Panthéon, là même où par une oraison dont le lyrisme assailli par les intempéries est resté célèbre il accompagna naguère Jean Moulin… Malraux fut cet acteur controversé et ce témoin privilégié du XXe siècle dont la destinée même fait image ou devient scénario, au plus près des péripéties sanglantes du siècle, et telle qu'elle paraît aspirer à se confondre tout entière avec lui.
La question qui dès lors se pose à ceux qui tentent de regarder au-delà des images pour interpréter cet espèce de mythe incarné que Malraux est devenu, est de comprendre comment s'ajointent les pièces de ce puzzle photographique… Ou plutôt, selon quelle logique passe-t-on du romancier de La Condition humaine à l'auteur des Antimémoires et du Musée imaginaire ? Et, dans les romans eux-mêmes, comment s'explique l'évolution qui conduit de la solitude héroïque de La Voie royale ou des Conquérants à la communauté épico-lyrique de L'Espoir ? Comment Malraux parvient-il à renouer avec le sentiment épique dans un monde qui le récuse ? Où puise-t-il son lyrisme ? A quelles valeurs cet agnostique amateur de farfelu et de coups d'éclat s'est-il finalement adossé ? Telles sont quelques-unes des questions que voudrait poser cette conférence qui se propose de retracer les principales étapes de l'itinéraire de Malraux et d'insister tout particulièrement sur ce point d'aboutissement d'une expérience, d'une écriture et d'une pensée que constitue son oeuvre ultime, et en un large sens testamentaire, Le Miroir des limbes.
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Texte mis en ligne le 17 mars 2016
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