Art. 259, 15 novembre 2019 | document • René Guetta [Clappique] : Extraits de «Trop près des étoiles» (1929).

Trop près des étoiles, par René Guetta (1929). Extraits.

I

Le comte blond me dit :

— Nous partons demain.

— Ah !… Tu as décidé ça ?…

— Oui !… C'est le 1er avril. Une plaisanterie. tu ne trouves pas !

Je n'étais pas convaincu. En fait de plaisanterie, traverser toute l'Amérique, de l'Atlantique au Pacifique !…

La longueur du trajet m'épouvantait. J'étais, à New-York, suffisamment loin de mon pays pour n'avoir pas envie de m'éloigner davantage ! J'hésitais.

– Allons, reprit le comte blond. Ne fais pas d'histoires. Cela va être follement intéressant…

J'étais sceptique. Je suis toujours sceptique quand il s'agit de l'inconnu. J'ai, depuis bien longtemps, appris que les voyages ne sont pas tels qu'on nous les a décrits. Mais le comte blond était optimiste.

— Comment, mon cher, tu fais des manières ? Voir toute l'Amérique d'un jet !… L'Illinois ! le Kansas ! le Colorado ! le New-Mexico ! l'Arizona ! la Californie ! Qu'est-ce qu'il te faut ? Et la fortune après, ajouta-t-il d'un air grave.

Son grand corps aux épaules larges, à la taille mince, était secoué pas l'électricité de son enthousiasme. Peu à peu, à mesure qu'il parlait, son excitation s'infiltra en moi et, comme un bon air de jazz, me conquit tout à coup.

— Tiens, ajouta-t-il, regarde… Si tu n'es pas tenté après cela, je pars seul…

Il déplia un journal, me mit sous les yeux un article, les phrases suivantes soulignées : «Hollywood est la seule ville des Etats-Unis où les mœurs soient vraiment libres et où il est possible de mener  la grande vie. Ses orgies peuvent se comparer aux orgies du gay Paree, etc…»

Le comte me regarda triomphalement.

— Et bien ! hésites-tu, maintenant ?…

Tentant, en vérité, la Californie ! Pourquoi pas, après tout ? Et puis, n'aurais-je pas, en France, le prestige du monsieur qui connaît des pays étranges ? Je vois d'ici mes amis lorsque je leur parlerai de Hollywood.

— Comment est-ce que ?… Tu connais Douglas ?… Quel âge a Ronald Colman ? Et Charlot ?…

Le comte lut dans mon regard qu'il avait gagné. Ce n'est que pour la forme qu'il me demanda sans sourire, délicatement, pour ne pas me faire sentir que j'acceptais :

— Alors ?…

— Eh bien ! Je pense que tu as raison. A la réflexion, j'aime autant tout connaître pendant que je suis dans ce pays. Qui sait quand j'y reviendrai !

—Bravo. Je vais tout de suite m'occuper des billets. Et tu verras que tout se passera admirablement.

— Au revoir ! A demain, cinq heures.

 

II

De la manière d'arriver à Hollywood

L'excitation de l'arrivée secoue nos regrets; d'ailleurs, même sans excitation, l'arrivée est charmante. A peine sortis du train, la petite gare de Los-Angeles vous accueille, semble-t-il, avec une sorte de douceur. Et Dieu sait si c'est rare d'être accueilli avec douceur en Amérique ! On quitte l'énorme Grand Central de New-York et on arrive dans une espèce de petit chalet campagnard comblé de fleurs et de soleil. On a le sourire satisfait du monsieur qui, ayant quitté son bureau avec la migraine, arrive dans sa maison de campagne de Normandie. Car la gare de la grande ville de Los-Angeles est une toute petite gare qui a l'intimité des toutes petites choses.

Tout de suite, la chaleur cordiale de ce pays gai vous saisit, et, comme dans notre Midi, tout paraît être de bonne humeur. Il y a comme un air de vacances. Costumes clairs, pas de chapeaux, teints brunis.

Les porteurs sont loquaces.

— Bon voyage ?… Oui ? Tant mieux ! Il fait beau, hein, ici ?… C'est mieux qu'à New-York ?…

Les gens de l'Ouest ne peuvent pas souffrir les gens de l'Est, et ils sont ravis quand ils peuvent faire des allusions qu'ils croient piquantes. J'ai apprécié, d'ailleurs, ces discours qui m'ont rappelé ceux que font, à Paris, les chauffeurs de taxis à moustaches, lesquels ont toujours la conversation facile et le langage imagé.

— Tiens, il y a une célébrité dans le train, remarque l'homme, de l'air apaisé de celui «qui en a vu d'autres».

Effectivement, sortant d'on ne sait où, une nuée de photographes se sont rués sur le compartiment 485. Un petit jeune homme en sort, le plus naturellement du monde.

— Hello, boys, crie-t-il en souriant. Me voilà. Je suis bougrement content de voir votre Californie !

Vingt déclics. Le petit jeune homme continue, s'adressant aux journalistes, qui notent :

— J'ai le plaisir d'être dans les murs d'une ville dont les progrès, à tous les points de vue, ont fait d'elle une des plus importantes de nos Etats-Unis et du monde.

Il descend. Les journalistes, satisfaits, se coagulent autour de lui. Un autre groupe entoure ce groupe. Un géant brandit une énorme sur laquelle ces mots sont écrits en grandes lettres noires : «T… est dans la ville.» Docile, T… se laisse entraîner, sous l'œil intéressé des porteurs nègres, et sous l'œil approbateur des Californiens.

— Qui est-ce ?

— Nous le saurons demain, me répond sagement mon porteur.

Nous suivons le groupe. Dehors, attendent cinq rolls-royce; l'homme à la pancarte s'installe dans la dernière, le petit monsieur tout seul  dans la première. Une foule d'amis hurlants s'empile dans les autres. Ce héro a le regard tranquille; on dirait qu'il a l'habitude. Nulle émotion, nul sens du ridicule ne marquent sa figure d'un trait spécial.

Aux deux agents motocyclistes qui gardent la voiture, il fait un geste de la main. Puis, les autos s'ébranlent, dominés par la sirène de la police qui couvre de ses ailes protectrices cet important personnage.

— Il doit être très connu, demandais-je.

— Oh !… ce ne sont pas les plus connus qui ont le plus besoin de publicité, vous savez.

Je me tourne vers le comte, qui n'a pas encore dit un mot. Il regarde avec un regard bleu, un peu lointain, la caravane qui s'éloigne triomphalement.

— Nous faisons purée, finit-il par dire, en montrant notre taxi qui attend.

— Mon cher, il n'y a que deux manières, m'a-t-on dit, d'arriver à Hollywood. 1° En faisant un tam-tam de tous les diables de publicité, ce qui doit être assez fréquent ici. 2° En arrivant comme des malheureux, ce qui est notre cas, et ce qui doit être la dernière des choses à faire si l'on veut se lancer dans le cinéma.

— Mais on ne peut pas faire de publicité si on n'a aucun titre pour en avoir.

— Toi, tu en as un, ce me semble, tu es comte.

— Ne fais pas d'esprit. Ce type qui vient d'arriver est soit un acteur, soit un auteur très connu, ou encore un financier. La manière dont il a parlé prouve déjà une autorité formidable. D'ailleurs, on n'enverrait pas la police arrêter la circulation devant les pas de n'importe qui. Alors, tu me fais rire avec ta publicité.

J'avais pourtant raison, instinctivement. J'ai appris plus tard que rien n'était plus facile d'obtenir qu'un peu de réclame fût faite autour de vous. La ville du cinéma est une ville spéciale. Les acteurs, même les tout petits acteurs, intéressent les populations. Tout le monde est avide de nouveauté, et il n'y a presque qu'à envoyer un mot annonçant son arrivée pour avoir des journalistes et des photographes à la porte du wagon. C'est à eux de se débrouiller après.

Mais ils trouvent toujours de quoi remplir leur papier. Un de mes amis, inconnu dans la ville, je le sus plus tard, n'avait-il pas envoyé une prime de cinquante dollars à celui qui le photographierait en premier ?… Il eut vingt professionnels et vingt reproductions de sa personne… Il était connu.

Mais la personnalité du petit monsieur m'intriguant, j'eus bientôt la preuve de ce que je soupçonnais. Le lendemain, en ouvrant le Los Angeles Examiner, je suis tombé sur trois photos de lui et sur deux articles. C'était un champion de tennis de table… Quant à sa fortune, elle se montait à treize sous; mais ce dernier détail, les journaux avaient omis de le donner.


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