Peu d'écrivains ont été autant photographiés, et aussi bien que Malraux. Du berceau au tombeau, sans trêve, comme s'il n'avait jamais échappé à l'objectif où qu'il fût et quoi qu'il fît. Une seule exposition de ses portraits suffirait à remplir la Galerie Gallimard. Quel artiste peintre ou écrivain du XXème siècle en effet a fixé l'objectif d'une Germaine Krull, d'un Philippe Halsman, d'un Boris Peskine, d'un Roger Parry, d'une Gisèle Freund, d'un Cecil Beaton, d'un Cartier-Bresson, pour ne citer qu'eux ?
C'est un fait que les années 30, particulièrement propices à la carrière de Malraux, voient l'essor de la photo via son perfectionnement technique, le développement de la presse et du reportage, mais aussi l'influence du cinéma. L'esquisse d'une psychologie du cinéma de 1946 puis les Ecrits sur l'art racontent comment la photo conquiert d'abord lentement la peinture avant de s'en dégager pour exister : « la plupart des premières photos, écrit-il, sont de faux tableaux même quand elles ne sont pas de faux portraits ». Après quoi, fait-il remarquer, « la photo ne fait que retrouver l'un après l'autre les problèmes de la peinture ». Mais c'est au cinéma, « une photo qui bouge », dit-il curieusement, que la représentation photographique doit son indépendance et sa richesse. La photo en mouvement du cinéma, c'est le plan, cette unité de base du montage entre Action ! et Coupez !, lequel peut devenir fixe et durer un certain temps en zoomant sur un détail, souvent sur un visage, pour mettre en valeur ses émotions ou sa séduction. Les exemples seront légion. Jean-Luc Godard en attribue l'invention, sans doute légendaire, au cinéaste américain W.D. Griffith, si ému par la beauté de son actrice, Mary Pickford, qu'il inventa le gros plan pour mieux en fixer les détails. Nous sommes autour de 1914 et le cinéma est encore muet. Ceci explique aussi cela. Néanmoins, « l'âme du cinéma » pour un Fernand Léger, « l'image-affection » pour Deleuze, savoir le gros plan, savoir le visage, a fait son apparition. « Le visage bouleversé des gros plans chuchote dans l'ombre qu'il emplit », écrit Malraux dans La Métamorphose des dieux.
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