Après la Perse du rêve, celle du voyage. Les Malraux ont péleriné trois fois vers Ispahan, « comme on pélerine vers la Mecque [1]». Malraux a aimé Ispahan, comme Stendhal a aimé Milan. En 1930, lors de leur deuxième voyage, ils mettent le cap sur l'Afghanistan via Moscou et Tachkent. A peine arrivés à Kaboul à bord d'un monoplan où ils ont atterri en vol plané, le moteur ayant lâché, ils filent au bazar, un jeudi, jour des Afridis, des montagnards armés jusqu'aux dents. L'Afghanistan est un pays misérable où l'on ne survit que par le racket. N'importe. Révolver à la ceinture, où qu'il se trouve en Orient, André devine le bazar où il fait les échoppes. Visite de courtoisie au Consul étonné qu'ils aient échappé à ses observateurs mais il leur fournira une escorte et une camionnette pour gagner l'Inde. Panne dans le désert. Sauvetage. Arrivée à Peshawar. Bazar. Si l'on grimpait au Cachemire ? Après deux jours d'escalade en auto, Srinagar…et bazar. L'Himalaya en majesté. En chaise-longue sur un house-boat, Clara est abordée par des marchands de curios dont elle décline l'offre. Non, ce qu'elle voudrait, ce sont ces « têtes blanches » qu'on trouve dans la terre et que les Anglais interdisent de vendre. Qu'à cela ne tienne, ils connaissent. Dans une maison, à Rawalpindi, Pakistan. « Revenez demain ! ». La magique formule est tombée : « Il faut savoir jouer aux dés ! ». En voiture de louage, ils sont descendus des plateaux frais et fleuris du Cachemire jusqu'aux rizières moites du Béloutchistan. S'ils manquent leur coup, ils n'ont pas l'argent du retour. Mais les colporteurs enturbannés, après un dédale de ruelles, les attendent dans un local obscur où sont entassées des têtes, des petites et d'autres, grosses comme des pastèques. Après une rapide expertise, il s'agit bien de ces têtes gréco-bouddhiques caractéristiques de cette zone de l'Asie centrale aux contreforts de l'Himalaya, conquise par Alexandre après la Perse, un peu plus de trois siècles avant Jésus-Christ. Ils font immédiatement leur marché et opèrent un tri. Malraux leur trouve un air gothique : « Passez-moi Saint-Louis !», « Que pensez-vous de Duguesclin ? ». La moisson est importante, les prix dérisoires. Pour l'acheminement, là encore il faut savoir jouer aux dés. Le trafic des pièces archéologiques est étroitement surveillé par les Anglais. Pas question de renouveler l'échec de Banteaï Srey. Mais les marchands ne vont pas lâcher si facilement le poisson qu'ils ont ferré. En Piggin-English, ils négocient avec Clara un arrangement avec la douane de Bombay. Une affaire de famille. Ils s'occuperont de tout. Va pour le cousin de la tante, l'affaire est enlevée… sans qu'ils en aient encore versé le premier sou. On télégraphie en termes sibyllins à Gaston pour ne pas éveiller les soupçons. Le mandat arrive. Affaire conclue. Après quoi ils décident de faire le tour du monde. Un avis postal glissé sous leur porte les avertira quelques mois après leur retour en France que des objets archéologiques « antérieurs au XIIIème siècle » (sic) et exempts de droits de douane les attendent à la gare de marchandises de Bercy. Ce n'est qu'un début. Bientôt, Malraux passera des commandes.
[1] Clara Malraux. Grasset. Voici que vient l'été, 117.