Bernadette Godet, «Voilà comment on abîme Paris, Malraux régnant», «Combat», du 18 novembre 1965, p. 10.

Dans une tribune libre publiée hier par notre confrère Le Monde, M. Jérôme Lindon nous apprend qu'il «votera de Gaulle» parce qu'il pense à l'Algérie et qu'il pense à Malraux. Ce n'est ni notre propos ni notre rôle de mesurer si la politique algérienne du général de Gaulle vaut qu'on vote pour lui. Cela est l'affaire personnelle de chaque citoyen. Mais c'est notre propos et notre rôle d'affirmer que l'action de M. Malraux ne suffit pas à justifier que l'on vote pour de Gaulle. Nous contestons, en effet, que M. Malraux ait défendu avec éclat depuis qu'il est ministre des Affaires culturelles «les valeurs vivantes de la culture».

Ce qu'a fait M. Malraux n'est pas négligeable. Il a distingué Balthus, Chagall et Masson, cela est vrai. Il a entrepris un effort sincère – encore que mal couronné – en matière de développement des Maisons de la culture. Il a prononcé quelques discours de grande qualité. Il a fait blanchir Paris. Il a fait voter enfin une loi qui sauvegarde le patrimoine artistique de la France. Mais le bilan s'arrête là. C'est peu pour une «vraie grandeur».

Nous savons que M. Malraux manque de crédits et nous le déplorons. Mais il y a des choses que M. Malraux pouvait faire sans crédits. Il y a des choses que M. Malraux pouvait empêcher, contre lesquelles, en tout cas, il pouvait s'élever. Nous pensons précisément à un projet de pleine actualité : la construction de la tour Maine-Montparnasse.

Ce projet dont le conseil municipal va débattre et qu'il va refuser – mais on sait le mépris dans lequel le gouvernement tient ses décisions – est un véritable attentat contre Paris. Cette tour va massacrer à jamais le paysage parisien. Son implantation dans Paris est un défi à l'esthétique. Déjà les Parisiens sont atterrés par la laideur des bâtiments cubiques qui forment l'ensemble Maine-Montparnasse. Pense-t-on les valoriser en érigeant ce phare de 185 mètres de haut, 75 de long et 26 de large qui dévorera le regard que l'on portera sur Paris ?

Au nom de la culture, cet ensemble n'aurait jamais dû être entrepris, et à plus forte raison, cette tour… Au nom de la culture s'il est vrai, comme l'affirme M. Lindon, que la culture ne doit pas être une «source de revenus». Au nom de la culture, car la culture veut que ce qui est beau soit protégé – et l'harmonie de Paris est compromise par l'ensemble Maine-Montparnasse – et que ce qui est laid soit banni.

Les hôtels de Sully et de Lamoignon sont restaurés, c'est un fait, mais derrière l'hôtel des Invalides se dressent déjà d'épaisses murailles tristes et laides. Ce que M. Malraux a réalisé ne l'absout pas de ce qu'il a laissé faire.


Téléchargement.