Clara Malraux, «“Nos vingt ans»” – “Le bruit de nos pas” II. Le livre de la quinzaine», “La Quinzaine littéraire”, 15-31 octobre 1966. Grasset, éd. 284 p.


Malraux en jeune homme

La publication de ce deuxième volume des souvenirs de Clara Malraux a été précédée d'un «bruit journalistique» qui ne saurait surprendre notre Ministre de la Culture, et qui se trouve être un de nos grands écrivains, vu par son ex-femme ! Et à une époque de sa vie dont on sait par des on-dit, plus précisément par la thèse érudite de M. Vandegans [1] qu'elle fut particulièrement agitée ! C'était plus qu'il n'en fallait à notre Landerneau des lettres pour qui la vie privée d'un écrivain devenu ministre passe de beaucoup l'intérêt que peuvent susciter les œuvres importantes de ce temps.

Les curieux d'un «jeune André Malraux intime» ne seront pas déçus. La compagne qu'il s'est donnée durant une vingtaine d'années fait bon poids bonne mesure : elle ne cache à peu près rien de ce que fut l'existence commune après que la jeune bourgeoise juive, heureuse de s'être publiquement compromise, a décidé de quitter sa famille pour vivre avec un écrivain débutant, de petite extrace, et qui vit d'expédients. Tout amoureuse qu'elle soit, elle est consciente de l'honneur qu'elle lui fait, et s'il ne lui est jamais arrivé de regretter son «coup de tête», elle porte néanmoins sa décision, – surprenante pour son milieu – au compte d'une jeunesse qui, après la première Guerre, se voulait éprise de liberté, d'abord et surtout dans les mœurs. Clara soupçonnait bien qu'André n'était pas le premier venu et qu'il avait, comme on dit, de l'avenir : il l'a séduite par sa parole et son intelligence, ses capacités intellectuelles.

L'admiration ne viendra que plus tard, toutefois, et c'est si l'on ose dire une admiration qui se répartit en parts égales : sur le jeune anarchiste nietzschéen qui a décidé de se forger une existence hors du commun, sur la jeune fille émancipée qui envoie faire lanlaire les traditions familiales et se moque du qu'en dira-t-on. Clara ne se trouve ni moins courageuse ni moins admirable qu'André et si l'on se garde de l'illusion rétrospective, elle a probablement raison, encore qu'il soit gênant de la voir écrire son propre panégyrique. Mais que celui qui n'a jamais péché, parmi les auteurs de mémoires, souvenirs et journaux intimes, lui jette la première pierre ! Après tout, André Malraux ne pouvait distinguer et aimer une jeune fille quelconque. Elle n'a pas à faire la modeste.

[1] La jeunesse littéraire d'André Malraux, J.-J. Pauvert, éd. 1964.

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