Rupture ou fidélité ?
Le parcours politique d’André Malraux
No 276 de PAMT
André Malraux s'est engagé politiquement à gauche de 1925 à 1939, puis, à compter de 1945, il s'est attaché à la personne du général de Gaulle et au gaullisme.
Ses deux engagements furent-ils de même nature ? Comment expliquer le passage de l'un à l'autre ?
Y a-t-il eu rupture ou continuité ?
Ces questions ont suscité de nombreux commentaires de la part des contemporains de Malraux, particulièrement durant l'immédiat après-guerre. Les intellectuels de gauche, et notamment les proches du parti communiste, ont ainsi considéré qu'il s'agissait d'un renoncement, d'un changement radical et même d'une trahison. Le vrai Malraux, le romancier et intellectuel de gauche, serait mort en rejoignant le gaullisme.
Les intellectuels de gauche et le PCF se mobilisent en effet à partir de 1947 contre le général de Gaulle et son parti le RPF et donc contre André Malraux qui en est devenu un des principaux dirigeants.
Il faut dire que 1947 marque le début de la guerre froide et la sortie des communistes du gouvernement. Quant à André Malraux, il est devenu le responsable de la propagande du RPF et tient des discours virulents contre les communistes, accusés d'être des séparatistes et d'appartenir à un parti de l'étranger.
Ainsi en 1948, Emmanuel Mounier publie dans la revue Esprit un long article intitulé « André Malraux ou l'impossible déchéance » dans lequel il s'inquiète de l'évolution politique de ce dernier, évolution qu'il regrette et qu'il attribue à une vision pessimiste de l'Histoire. Il essaie de se convaincre que Malraux n'a pas abandonné ses valeurs.
Mais, dans ce même numéro d'Esprit[1], consacré entièrement à l'auteur de la Condition humaine, d'autre auteurs n'y vont pas par quatre chemins. Albert Béguin va jusqu'à dire de Malraux : « Il est, en un sens, le seul authentique fasciste français. Car, dans ce pays, où on appelle fascistes les réactionnaires, les conservateurs, les esprits immobiles, il est à peu près seul à avoir suivi la voie classique qui mène au fascisme : la voie du révolutionnaire, demeuré révolutionnaire, mais qui par expérience de l'échec ou par propension innée, en vient à désespérer des hommes. »
Jean Lacouture[2] cite aussi Pierre Hervé du PCF qui écrit dans la revue Action : « On se demande en vérité pourquoi Mounier cherche midi à quatorze heures avec une telle obstination. Qui n'a jamais dit ou pensé que Malraux est littéralement parlant conservateur ou réactionnaire ? Il est fasciste. Entendez-vous Mounier ? Fasciste ! »
C'est aussi l'époque ou Jean-Paul Sartre ne voyait pas de différence entre le général de Gaulle et le maréchal Pétain.
On a du mal à comprendre aujourd'hui comment certains ont pu traiter Malraux de fasciste du simple fait qu'il ait adhéré au gaullisme.
Il est vrai que devenu délégué à la propagande du RPF il a tenu des discours très anticommunistes. Il est vrai aussi qu'il était persuadé que les communistes préparaient un coup d'Etat et qu'il a laissé entendre que pour lui une démocratie véritable n'était pas possible en face d'un parti stalinien. Il est vrai que le programme du RPF était antiparlementariste et anticommuniste et que ses meetings ressemblaient à ceux des Croix de feu de l'entre-deux-guerres. Mais de là à traiter Malraux de fasciste !
Dans son appel aux intellectuels le 5 mars 1948 à la salle Pleyel (appel qui deviendra ensuite la postface des Conquérants), André Malraux a répondu à ses détracteurs[3] : « Le général de Gaulle est « contre la République » (parce qu'il l'a rétablie ?), « contre les Juifs » (parce qu'il a abrogé les lois raciales ?), « contre la France » : il est instructif qu'on puisse écrire sans faire rire, à peu près une fois par semaine, qu'est contre la France celui qui, au-dessus du terrible sommeil de ce pays, en maintint l'honneur comme un invincible songe… »
Les choses s'arrangèrent ensuite progressivement entre Malraux et les intellectuels de gauche.
En effet à partir de 1949 Malraux prend du recul par rapport au RPF pour se consacrer à ses écrits sur l'art.
[1] Interrogations à Malraux, Esprit octobre 1948.
[2] André Malraux, Une vie dans le siècle page 339, Seuil 1973.
[3] Romans, Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Gallimard, 1976, page 166.