E/1976.12.10-17 — André Malraux : «Phrases pour notre mémoire». Adieu à Malraux. Ses phrases pour notre mémoire. Une sélection des «mots» les plus étonnants de ses émissions de télévision. «Paris-Match», 10 décembre 1976, p. 68-70 et 17 décembre 1976, p. 70-71.

Agnostique

Être agnostique, ça veut dire penser qu'il n'y a pas de lien possible entre la pensée humaine et la conception d'une transcendance absolue. Alors ça ne veut pas dire du tout qu'on est athée, parce qu'être athée ça veut dire : c'est faux, la transcendance n'existe pas. Je ne pense pas du tout que la transcendance n'existe pas, je pense qu'elle existe fondamentalement et que les hommes ne sont les hommes qu'en liaison avec une transcendance très variable, pas forcément religieuse. Les grandes figures de l'humanité sont toutes liées à une transcendance.

Religion

Il y aura une autre forme de solution religieuse. Je ne veux pas dire qu'elle ne sera pas chrétienne, je n'en sais rien, je veux dire qu'il y aura une forme que l'humanité appellera peut-être autrement mais que moi j'appellerai religieuse sans hésiter parce que j'appelle religieuse toute réponse au problème de la mort, de la survie ? Je ne vois pas comment cette question ne serait pas résolue. On peut supposer un christianisme avec des formes relativement différentes. Le christianisme actuel n'est tout de même pas celui des catacombes. On peut supposer, alors sur un plan qui, cette fois, n'est plus chrétien, un rapport sans précédent de l'être humain avec la mort. Mais ce que je dis c'est qu'on ne peut pas supposer que la situation actuelle de la pensée humaine pourra durer cinq cents ans. L'être humain ne passera pas cinq cents ans à supprimer les problèmes métaphysiques.

Spiritualité

C'est le contact imperceptible de l'homme avec ce qui ne lui appartient pas, avec son inconnu.

Surnaturel

Si un saint ne recoupe pas de près ou de loin le surnaturel, je me méfie. Le surnaturel n'est pas forcément faire jaillir des jets d'eau dans les salons. Bien. Mais prenons un homme qui n'est pas saint François d'Assise, qui n'est rien, qui est le curé d'Ars, son rapport avec les pénitents était parfaitement du domaine du surnaturel puisqu'il confesse des gens qu'il ne connaissait pas et il leur dit : «Tu es venu me trouver pour tel péché précis et je t'absous.»

Je ne crois pas qu'il y ait de grands domaines spirituels… et maintenant je ne parle pas du tout seulement du christianisme… qui soient complètement séparés du surnaturel. Alors, on nous dit : «Mais tel saint bouddhiste n'a pas accompli ces miracles.» Je le veux bien. Ça ne m'intéresse pas beaucoup. Ce qui m'intéresse c'est : et pourquoi, pendant deux mille ans, lui a-t-on attribué ces miracles ? Il me paraît bien plus facile de comprendre un domaine spirituel avec un domaine surnaturel qu'on peut très bien contester si on veut, que de comprendre un domaine spirituel dans le rationnel.

 

 


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