Jacques Laurent : «Malraux a blanchi les monuments de Paris, il n'en a édifié aucun. Les Maisons de la culture datent du Front populaire et de Vichy. Le reste, c'est du de Funès supérieur», «Le Fait Public», juin 1969, n° 7, p. 35-36.

Nouvel acharnement contre Malraux.

Jacques Laurent : «Malraux a blanchi les monuments de Paris, il n'en a édifié aucun. Les Maisons de la culture datent du Front populaire et de Vichy. Le reste, c'est du de Funès supérieur», Le Fait Public, juin 1969, n° 7, p. 35-36.

 

Pendant onze ans de régime gaulliste, nous avons assisté à une période de stagnation littéraire et artistique qui ne peut être comparable qu'à d'autres moments de creux, comme la Révolution et l'Empire. Et encore, sous l'Empire étaient apparus Chateaubriand, Benjamin Constant, ainsi qu'un nouveau style mobilier et architectural. Le gaullisme, lui, n'a pas l'excuse de l'action pour justifier son vide. Il n'a fait que poursuivre ce qui existait auparavant. Le régime a toujours voulu s'entourer des fastes du passé, comme de Gaulle est parti au bras de Jeanne d'Arc, avec Verdun dans ses bottes.

Il en va de même pour Malraux : après avoir écrit Le Musée imaginaire, il est devenu le conservateur – à tous les sens du mot – de musées bien réels. Au lieu de creuser les fossés du Louvre, il aurait peut-être été plus intéressant de construire un palais correspondant à l'éthique et à l'esthétique de la seconde moitié du XXe siècle.

Malraux a blanchi les monuments de Paris, mais il n'en a édifié aucun. En agissant ainsi, il a inconsciemment subi une notion de la culture imbécile, qui est de se retourner vers le passé pour le nettoyer, l'annoter ou le disséquer. Le régime a toujours misé sur les valeurs sûres. Louis XIV n'a compté ni sur Montaigne, ni sur Ronsard, ni sur Vercingétorix…

Il n'y a qu'à voir les écrivains qui correspondaient avec de Gaulle hebdomadairement : c'était ce qu'il y avait de plus banal et de plus vil. Etant lui-même un homme de lettre médiocre, il a surtout apprécié les écrivains médiocres, Aussi de Gaulle préférait-il la société de Frossard à celle de Mauriac. Pour ma part, je note qu'il est fâcheux que, pour avoir répondu dans un livre à l'un de mes anciens amis, je me sois retrouvé dans un commissariat de police à décliner mon identité et à dire ce que je faisais des nuits où je ne couchais pas chez moi.

Les Maisons de la culture ? Elles reflètent l'idée de s'adresser à une clientèle faite pour voir du Bourvil et à qui on propose d'écouter du Brecht. En fait, elles remontent au Front Populaire et aux premières années de Vichy – et les gaullistes se sont bornés à les exploiter. Elles représentaient un gaullisme de gauche, anémié, sclérosé… On est même étonné d'avoir aussi peu de choses à dire sur cette question. Nous avons vécu là une période complètement atonique.

Pour la Comédie Française, les vices du régime apparaissaient avec encore plus d'éclat. Malraux a voulu imposer sa théorie qu'il fallait jouer des tragédies. La Comédie Française est alors devenue morne et neutre et neutralisée. Elle avait pourtant essayé des innovations et des trouvailles pendant les quinze années précédant 1958, depuis Le Soulier de Satin.

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