D/1967.02.17 • « “Je remercie l'Egypte qui la première a inventé l'éternité” déclare M. Malraux devant la statue de Toutankhamon qui règne pour cinq mois sur le Petit-Palais parmi les trésors du jeune pharaon». «La Nouvelle République», 17 février 1967, n° 6820, p. 1 et D.

La Nouvelle République, 17 février 1967, n° 6820, p. 1 et D.

 

« Je remercie l'Egypte qui la première a inventé l'éternité» déclare M. Malraux devant la statue de Toutankhamon qui règne pour cinq mois sur le Petit-Palais parmi les trésors du jeune pharaon.

 

«Ce que l'Egypte a cherché dans la mort, c'est justement la suppression de la mort… Je remercie, au nom de la France, l'Egypte, qui, la première, a inventé l'éternité. Nous lui souhaitons tout ce que nous pouvons souhaiter à un pays ami dans la paix et le bonheur».

C'est par ces paroles que le ministre des Affaires culturelles de France, M. André Malraux, a déclaré ouverte l'exposition «Toutankhamon et son temps».

Le ministre parlait devant la statue colossale du jeune pharaon qu'illuminaient les projecteurs de la Télévision.

Il venait d'inaugurer, au Petit Palais, en compagnie du Dr Saroite Okacha, vice-Premier ministre de la République arabe unie, du sous-secrétaire d'Etat au ministère de la Culture de la R.A.U., M. Abdel Moneim el Sawy, et du ministre de l'Education nationale de France, M. Christian Fouchet, l'une des manifestations culturelles les plus prestigieuses qui ait sans doute jamais été organisée à Paris.

 

45 chefs-d'œuvre

Le Dr Okacha avait, avant lui, mis l'accent sur le symbole «que représentait dans les relations culturelles entre la France et l'Egypte, l'ouverture de cette exposition».

C'est sous la conduite de Mme Desroches-Noblecourt, commissaire générale de l'exposition, et de M. Mohamed Hassan Abdul Rahman, directeur du musée du Caire, que le ministre a parcouru les différentes salles, toutes tendues d'étoffe aux couleurs sobres, symboliques, de plus en plus étroites au fur et à mesure que l'on s'achemine vers le fameux masque d'or, où sont présentés d'une manière harmonieuse et selon les méthodes de la muséographie la plus moderne, 45 chefs-d'œuvre de l'art égyptien.

 

Un règne bref mais fastueux

Le Petit Palais, témoin des fastes architecturaux de la Belle Epoque, devient ainsi pour cinq mois et demi, une succursale de la «Vallée des Rois».

Une exposition admirable que Mme Christiane Desroches-Noblecourt, éminente égyptologue française et elle-même auteur d'un passionnant «Toutankhamon» a orchestrée magistralement.

Orchestrée est le mot, puisque le cheminement imposé aux visiteurs va de la découverte historique du tombeau du jeune roi à l'apothéose de son masque d'or massif dont les yeux, par-dessus les regards éblouis, semblent sonder l'éternité.

La première salle, donc, est celle des reproductions photographiques qui restituent aux visiteurs la vision que Howard Carter eut lui-même lorsqu'il découvrit le tombeau enfoui depuis des millénaires dans les sables de la Vallée des Rois, l'amoncellement du trésor dans les pièces exiguës aux murs couverts de peintures relatant les étapes d'un règne bref mais fastueux.

La seconde salle permet d'accéder au cœur de l'une des pages les plus importantes de l'histoire de l'Egypte pharaonique, celle qui porte le récit d'une hérésie, l'hérésie amarnienne, vouée au dieu Aton. L'importance de cette page réside dans le fait que Toutankhamon, né sous l'hérésie, sera l'instrument du retour aux sources de la foi et du rétablissement des rites dus au dieu Amon, d'où son changement de nom de Toutankhaton en Toutankhamon.

 

Un hymne à l'immortalité

C'est la prime jeunesse de l'enfant-roi qui défile sous nos yeux : voici la palette émouvante de la princesse Meritaton. Elle servait à écrire et dessiner et offre six encres aux couleurs vives encore, blanc, vert, jaune, brun, rouge et noir. Voici le fauteuil de la fille et épouse royale – l'antique Egypte pratiquait couramment l'inceste –, en bois rougeâtre aux dorures étonnamment conservées.

Le visiteur peut passer alors dans la salle de la Royauté, tendue d'un bleu soutenu et à l'éclairage d'outre-tombe mais à laquelle l'éclat des ors donne comme une lueur surnaturelle. Le véhicule funéraire de Toutankhamon occupe le centre de la salle, porté par deux vaches aux longues cornes. Mais c'est une admirable statue qui retient, plus que tout, les regards : elle est le «négatif» du roi que l'on enterre et qui prend son départ pour l'éternité. Haute de 1 m. 92, elle est en bois rouge bitumé et doré sur plâtre. Dans des vitrines murales, des boucles d'oreilles, des colliers à pendentifs ou pectoraux éclaboussent de lumière tandis qu'une sorte d'enseigne à l'effigie du roi-enfant, présente une admirable statuette miniature de Toutankhamon, œuvre d'une extraordinaire finesse de conception et d'expression.

Un couloir, et dans une pénombre plus soutenue encore, apparaît le masque funéraire qui est un hymne à l'immortalité.

De Toutankhamon, Mme Desroches-Noblecourt écrit :

«Seul, de toute la ligne des pharaons du Nouvel Empire, il fut préservé, entouré d'un message unique au monde et dont on commence, trois mille ans après, à pénétrer l'extraordinaire et profond enseignement».

Ce message et cet enseignement sont tout le prix d'une visite à un mort qui est l'exaltant témoignage d'une vie.

 


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