Introduction du Nouvel Observateur :
Ce vieil homme d'aventure, à la fois fracassé et au regard perdu, qui revient du Bengladesh et d'on ne sait quelle cérémonie au Népal en hommage à Bouddha, pourquoi parler encore de lui qui parle tant, survivant par hasard à de Gaulle et à Picasso ? Parce que sa vie violemment vécue, dans la plus tragique ambiguïté, faite d'individualisme aventureux et de fraternité révolutionnaire, d'esthétisme avantageux et d'engagements généreux, fend le siècle comme l'étrave d'un navire fait des eaux de la haute mer et qu'à le traquer de la forêt indochinoise aux maquis de Corrèze, du Berlin des nazis à la sierra de Teruel, des tribunes du Front populaire à son bureau de ministre, on apprend sur le siècle tout ce qu'un destin individuel, même immergé dans l'universel, permet d'en découvrir. Ce fut le projet initial de ce livre qui tente de décrypter ses raisons d'agir, de mesurer ses incompatibilités, de comprendre ses métamorphoses et de déceler ses rapports entre le réel et l'imaginaire chez l'homme qui a prétendu résumer ainsi l'aventure humaine : «Transformer en conscience la plus large expérience possible.» André Malraux déclarait, un jour : «Pour Le Nouvel Observateur, il n'y a pas de Richelieu.» A lire ces pages du livre[1] que Jean Lacouture va publier dans quelques jours aux éditions du Seuil, on constatera, en tout cas, qu'il y a un Malraux… Que l'individu fasse l'histoire ou soit façonné par elle, l'évocation des extraordinaires rapports qui se nouèrent, voici quarante-cinq ans, entre le marxiste Léon Trotski et l'antimarxiste André Malraux – qui font l'objet d'un des chapitres de ce livre – permet de mesure sa puissance créatrice et son aptitude à tirer, de la contradiction du conflit, le surcroît de grandeur possible que tout homme ignore en lui.
[1] André Malraux, une vie dans le siècle.