art. 80, février 2010 • Jean-Claude Larrat : «Malraux entre rhétorique et littérature» (INEDIT)

Malraux a commencé sa carrière d'écrivain à une époque marquée par ce qu'Antoine Compagnon a appelé « l'éclipse de la rhétorique », éclipse qui ne semble avoir pris fin qu'au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. N'ayant pas eu accès aux études secondaires (mais seulement à l'enseignement « primaire supérieur »), il ne bénéficia même pas de cet enseignement du grec et du latin qui permit à bon nombre de ses contemporains de garder un accès à la rhétorique classique. Pourtant Malraux, contrairement à beaucoup d'autres écrivains et intellectuels de sa génération (Aragon, Céline, Paulhan, Sartre, etc.) fut, dès les années 1930, un orateur politique très admiré et – il y en a de nombreux témoignages – influent. Dans la deuxième moitié du siècle, il semble même avoir participé à ce qu'Antoine Compagnon appelle « la réhabilitation de la rhétorique », puisqu'il prononça de très nombreux discours, au nom du mouvement gaulliste et qu'il alla même jusqu'à réunir certains d'entre eux dans un volume intitulé Oraisons funèbres, se rattachant ainsi expressément à l'un des genres les plus anciens de la rhétorique oratoire. Son discours à l'occasion du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon est considéré par certains spécialistes comme un modèle de rhétorique épidictique. On peut donc s'étonner que son nom ne soit jamais cité dans les pages qu'Antoine Compagnon consacre à la « réhabilitation de la rhétorique » au XXe siècle. Nous verrons cependant qu'il y a peut-être quelques raisons à cela.

Mais, si l'on excepte les éditoriaux de L'Indochine et de L'Indochine enchaînée, qui relèvent de cette « parole pamphlétaire » à la Laurent Tailhade étudiée par Marc Angenot, Malraux commença par être critique littéraire (principalement les « notes » de la N.R.F.) et romancier. A ce titre, il eut donc affaire à la question de « la langue littéraire » au XXe siècle, question qu'un ouvrage récent tente d'identifier et de cerner. « De Gustave Flaubert à Claude Simon », pour reprendre le sous-titre de cet ouvrage, les écrivains n'ont cessé de s'interroger, en effet, sur la constitution d'une « langue littéraire » qui rende compte de ce que la littérature, devenue autonome, pouvait avoir de spécifique. Et, à partir de 1850, note Gilles Philippe, cette spécificité n'est plus jamais conçue comme une simple ornementation de la langue commune par les « fleurs de rhétorique » (expression consacrée dont se souviendra Paulhan dans Les Fleurs de Tarbes) mais, selon deux perspectives opposées, comme « la résistance aux principales tendances évolutives de la langue standard » ou, au contraire, comme le produit d'une expérimentation sur toutes les potentialités de la langue française dégagée du carcan des traditions et des règles – y compris, parfois, des règles de la grammaire normative. La langue littéraire est comprise, dans les deux cas, comme l'« autre » de la langue commune. Les traits distinctifs et les modèles de cette « langue littéraire » varient beaucoup selon les tentatives de définitions, allant de la phrase proustienne à l'« écriture blanche », mais ils ne sont jamais identifiés aux artifices de la rhétorique, comme l'usage des figures, par exemple.

 

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INEDIT / © www.malraux.org – texte mis en ligne le 17 février 2010

 

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