Les Lettres françaises, 6 avril 1959, p. 5. Jean Gandrey-Réty : «Libération ou servitude des théâtres nationaux» – Claude Olivier : «Compte rendu de la conférence de presse de Malraux»

La conférence de presse de M. André Malraux – Notes d'un auditeur

On connaît les décisions prises par le gouvernement en matière de réforme de l'organisation des théâtres nationaux. Jean Gandrey-Réty en fait ici même une analyse détaillée. Il ne me paraît donc pas nécessaire de raconter par le menu la conférence de presse donnée à ce sujet par M. André Malraux.

Je me contenterai donc de reproduire ici quelques notes brèves ayant trait à certains points de la «discussion» qui a suivi l'exposé du ministre et qui m'ont paru éclairer d'une lumière plus crue que cet exposé lui-même certaines méthodes et diverses intentions du gouvernement en la matière.

 

  • Concis d'abord…

Le ministre : Messieurs, je me livre à vos questions.

Un confrère : Avez-vous consulté les Comédiens-Français ?

Le ministre (sec) : Non.

Votre serviteur : Ces décisions ont-elles été prises avec l'accord des organisations professionnelles et syndicales ?

Le ministre (très sec) : Non.

Votre serviteur : Du moins après qu'elles eurent été consultées ?

Le dos seul du ministre informe le curieux que la question est jugée parfaitement inopportune.

 

  • Le collège des Finances

La notion de rentabilité, en matière de théâtres nationaux, n'est plus tabou (voir ci-dessus l'article de Jean Gandrey-Réty). Bravo !

Cependant le ministre de la Culture a bien précisé – et à plusieurs reprises – que son «collègue des Finances» se refusait – et pour cause !… – à l'octroi de tout crédit supplémentaire, quelles que soient les incidences financières de certaines mesures… qui risquent de ce fait de rester lettre morte.

Jean Vilar, qui l'a bien vu, a récemment déclaré à la presse : «J'ouvrirai la salle Récamier… avec une pièce inédite d'un auteur français contemporain… Bien entendu, si deux ou trois fois de suite j'obtenais un échec, je ferai probablement appel à une «valeur sûre». Je ne peux en effet me désintéresser des problèmes financiers, d'autant que la subvention… qui nous est accordée n'a pas été modifiée».

Question brûlante. Car si l'on veut faire revivre le théâtre en France, on ne peut, me semble-t-il, se limiter à la seule réforme des théâtres nationaux. Des problèmes se posent, par exemple concernant les centres dramatiques, voire des troupes, telle celle de Roger Planchon, auquel le ministre a adressé un éloge chaleureux et fort mérité. Mais il n'a pu dire – le collègue des Finances toujours ! – si sa sollicitude se traduirait à l'avenir en espèce sonnantes et trébuchantes.

 

  • Le public

Il sera jeune. Le goût du théâtre lui viendra grâce à une mesure énergique : le Palais de la Défense servira de «cadre» à une colossale représentation qui réunira 100.000 spectateurs…

 

  • La voie royale
  1. – «Le Théâtre de Versailles sera rouvert et mis à la disposition des théâtres nationaux».

Répondant obligeamment cette fois à diverses questions, le ministre a précisé qu'il attachait à cette réouverture une importance «symbolique». Beau sujet de méditation à l'aube de la République nouvelle.

Toutefois, ce théâtre n'aura pas de directeur et, bien sûr (Ah ! revoilà ce fameux collègue !), pas de crédits. Les messieurs et dames du Tout-Paris y seront conviés à de somptueux galas mondains. Révolution d'abord.

  1. – Réponse, in extremis (tout risque de polémique étant écarté), aux deux premières questions :

Le ministre est fin prêt à rencontrer… à l'avenir n'importe qui (Comédiens-Français, syndicats…).

La «doctrine d'Etat de la République en matière culturelle» ayant été définie et mise en application chacun pourra émettre un avis favorable (de préférence) ou non (sans importance, les décisions étant sans appel).

Et d'ici cinq à sept ans vont se rassembler dans les «Maisons de la culture» tous les jeunes de France dont «la télévision» fera des habitués des théâtres nationaux…

Pourquoi pas ? Mais pour la réalisation de ce plan encore, le peu compréhensif collègue des Finances donnera-t-il les moyens nécessaires ? Il n'y paraît guère.

Et puis… ces mesures «en faveur» de la jeunesse, dans quel esprit seront-elles appliquées ? D'aucuns s'inquiètent quelque peu de l'apparition de cette doctrine d'Etat en matière de culture, «doctrine autocratique», dit… le New York Times.

De mauvais esprits sans doute !

 

                                                                                                Claude Olivier


Téléchargement.