Image of Malraux et le Bangladesh. –   «La Nouvelle République», 18-19 septembre 1971, n° 8.212, p. 1 et G.

Malraux et le Bangladesh. –   «La Nouvelle République», 18-19 septembre 1971, n° 8.212, p. 1 et G.

Malraux et le Bangladesh

 

La Nouvelle République, 18-19 septembre 1971, n° 8.212, p. 1 et G.

«Après l'Indochine, l'Espagne, la Résistance et le gaullisme, le nouvel engagement de Malraux : le Bengale».

 

A 69 ans, il offre ses services à l'armée de libération du Pakistan Oriental. Dans une lettre à un ami indien, l'écrivain français André Malraux, ancien ministre de la culture, se déclare prêt à servir dans les forces de libération du Pakistan Oriental.

Des extraits de cette lettre datant d'une dizaine de jours, ont été communiqués aux journalistes. Le destinataire qui a demandé à garder l'anonymat, est – croit-on – un diplomate.

«J'ai une certaine expérience militaire, ce qui est rare chez les écrivains» écrit notamment André Malraux qui se déclare prêt à prendre un commandement dans l'armée de libération du Pakistan Oriental (Mukt Fauj).

Il ajoute que «le Bengale n'est pas nécessairement un pays de résistance non-violente. Il peut et doit être un pays de résistance seulement».

 

Comme le Vietnam

A propos du projet de conférence internationale sur le Bengladesh qui doit avoir lieu le 18 septembre à New Delhi sur l'initiative d'une comité indien présidé par le leader non-violent Jaya Prakash Narayan, André Malraux – qui a décliné l'invitation à y participer – remarque : «Les seuls intellectuels qui peuvent parler pour le Bengale sont ceux qui sont prêts à se battre pour le Bengale».

Dans une lettre à Narayan, publiée la semaine dernière, Malraux disait que le Pakistan Oriental «doit répondre comme le Vietnam : si nous devons mourir, nous mourrons, mais cela vous coûtera si cher que vous finirez par partir».

Interrogé par l'agence France-Presse, M. André Malraux a confirmé la nouvelle mais il a précisé que rien n'est encore définitivement réglé quant à un éventuel départ pour le Bengale. M. Malraux rendra prochainement public un communiqué à ce sujet.

 

Dès 1925

Aventurier des années vingt, révolutionnaire des années trente, héros de la Résistance, André Malraux montre qu'il est resté, à 69 ans, un «baroudeur» profondément marqué par ses contacts de jeunesse avec les forces révolutionnaires de l'Inde et de la Chine, en qui il avait pressenti, dès 1925, une des grandes forces de l'avenir.

En 1928, son premier contact, en Indochine, avec le système colonial français de l'époque, provoque son engagement total aux côtés des Indochinois. Il fonde en 1925 une revue, L'Indochine, dans laquelle il luttera pendant deux ans pour l'émancipation des peuples colonisés. En Chine, il rencontre Borodine, délégué du Komintern, assiste au soulèvement de Canton et aux troubles de Shanghaï.

Rentré en France, il publie en 1928 Les Conquérants, s'engage à fond dans l'action antifasciste et se rend à Berlin avec Gide pour demander à Hitler la libération de Dimitrov et de Thaelmann.

 

«André Trompe-la-Mort»

Juillet 1936, la guerre civile éclate en Espagne. Malraux, partisan farouche de la République espagnole, fonde l'escadrille «Espoir» et se bat à Téruel et Medellin contre des forces supérieurement équipées de matériel fourni par Hitler et Mussolini. Il est blessé. Hemingway, alors correspondant de guerre pour la presse américaine, l'appelle : «André Trompe-la-Mort».

En 1939-40, bien que réformé, il s'engage, à 38 ans, comme 2e classe dans les chars et s'évade de la cathédrale de Sens, où les Allemands ont enfermé leurs prisonniers.

Il entre dans la résistance et devient le chef de la brigade Alsace-Lorraine sous le pseudonyme de «colonel Berger», nom d'un des héros de son livre : Les Noyers de l'Altenburg.

 

Le conseiller le plus écouté

Son ralliement au gaullisme fait succéder à l'aventure un engagement dans l'art et la politique. Son action auprès du général de Gaulle, dont il est notamment le ministre des Affaires culturelles (1945-46 et 1958-69) et le conseiller le plus écouté, est déterminante.

Dans son œuvre littéraire, Malraux continue d'ailleurs à s'interroger passionnément sur le sens même de la condition humaine et sur l'aventure de l'humanité au centre de laquelle il place les foules misérables du tiers monde.

Recevant à l'université de Bénarès, en 1965, le diplôme de docteur honoris causa en sanscrit, conféré pour la première fois à un étranger, Malraux constatait que «le monde commence à comprendre l'Inde et à saisir son âme à travers ses sculptures, sa musique et sa danse». Son engagement en faveur du Bengale répond à un sentiment plus profond encore, qui rejoint l'idéologie et le goût de l'aventure de son adolescence.


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