Image of Maurice Chavardès : «André Malraux ou le mythe créateur. Un inédit d'André Malraux dans la Pléiade : “Le Démon de l'Absolu”», «Témoignage chrétien», 3 mai 1996, n° 2689, p. 12.

Maurice Chavardès : «André Malraux ou le mythe créateur. Un inédit d'André Malraux dans la Pléiade : “Le Démon de l'Absolu”», «Témoignage chrétien», 3 mai 1996, n° 2689, p. 12.

Maurice Chavardès : «André Malraux ou le mythe créateur. Un inédit d'André Malraux dans la Pléiade : “Le Démon de l'Absolu”», Témoignage chrétien, 3 mai 1996, n° 2689, p. 12.

 

Le deuxième tome des Œuvres complètes d'André Malraux vient de sortir dans la Bibliothèque de la Pléiade. Il contient le roman sur la guerre d'Espagne, L'Espoir, un livre introuvable et inachevé, Les Noyers de l'Altenburg, et un ouvrage inédit, Le Démon de l'absolu. Ce dernier texte, écrit à la même période que Les Noyers n'a, pas plus que lui, été mené à son terme. Et Michel Autrand, dans l'introduction du volume, de poser la question : «L'inachèvement n'aurait-il pas quelque chose à voir avec l'essence même du roman ?» sans doute Malraux s'était-il interrogé sur la pérennité d'un genre qui semble avoir connu son apogée au XIXe siècle. Bernanos et Saint-Exupéry ne se sont-ils pas, à la même époque, éloignés du roman, lui préférant l'essai ?

Pour Malraux, il y a les livres qui ne sont que des livres et les livres qui sont des actes. Dans L'Espoir – un vrai roman, quoique né d'une expérience – l'acte prime parfois la théorie ou le rêve. L'exaltation de la réalité révolutionnaire échappe à la fiction. L'interrogation fondamentale («qu'est-ce que l'homme ?») et l'action par quoi on s'élève contre le destin se coulent dans une réflexion esthétique. Avec Les Noyers de l'Altenburg, les sculptures de la cathédrale de Chartres et les visages des compagnons de captivité du héros se métamorphosent en œuvres inaccessibles au temps. L'art semble passer au premier plan. Malraux tient l'écriture pour l'une des issues à un univers absurde. Mais qu'est-ce qu'écrire, sinon donner forme à une recréation de la réalité ?

Evoquant, dans Le Miroir des Limbes, l'aventure d'Alexandre, Malraux prend appui sur l'Iliade, quintessence du plus grand rêve. Entre l'action et le rêve, qu'est-ce qui pourrait supprimer un hiatus apparemment fatal ? La réponse se trouve peut-être dans la remarque d'Etiemble sur l'auteur des Sept piliers de la sagesse : «Avec Rimbaud, T.E. Lawrence demeure un des mythes les plus vivaces de notre siècle». Cela ne rejoint-il pas Malraux écrivant dans La Voie royale : «Tout aventurier est né d'un mythomane» ? Aveu d'autant plus capital que, dans l'ouvrage inachevé consacré à Lawrence, Malraux brosse un autoportrait, volontaire ou non, de lui-même à travers son héros. Le moyen de Malraux écrivain est le mythe créateur. Dans sa propre légende, ne voit-il pas une réalité plus forte que la réalité même ?

Comme Lawrence, il croit à la fraternité, à la lutte, à l'engagement. En même temps qu'aux mensonges qui permettent de vivre – comme la création littéraire, qui «ne tend pas à faire prendre une imagination pour une vérité, mais plutôt à donner à des réalités l'éclat confus de l'imaginaire». De là, sans doute, que l'homme n'arrête pas de s'interroger sur le sens de la vie. Sans réponse, car toute angoisse cherche son extase. Mais toute extase échoue devant l'absurdité du monde. Laquelle ne le cède qu'à la volonté de communion…

Roger Stéphane, qui, avant de se donner la mort, avait longuement médité sur l'œuvre et la vie de son ami André Malraux, rappelle, dans un essai brûlant d'intensité fraternelle, la fameuse phrase du Temps du mépris : «Il est difficile d'être un homme. Mais pas plus de le devenir en approfondissant sa communion qu'en cultivant sa différence. Et la première nourrit, avec autant de force au moins que la seconde, ce par quoi l'homme est homme, ce par quoi il se dépasse, crée, invente ou se conçoit».

Voilà qui rejoint par un biais ce que disait Malraux, faisant allusion à François d'Assise embrassant sur son chemin une mendiante, et que rapporte Michel Cool dans un petit essai intitulé André Malraux, l'aventure de la fraternité : «Puisque nul ne peut étreindre tout le chagrin du monde, j'embrasserai la pauvreté sur ton visage». Phrase dédiée, le 10 mai 1975, sur le parvis de la cathédrale de Chartres, aux femmes qui ne sont jamais revenues de l'enfer concentrationnaire. Dans le cinquième Cahier Roger Martin du Gard, riche d'une quinzaine de contributions sur le Journal de l'auteur des Thibault, on lira avec intérêt un article de Harald Emeis sur Le couple André et Clara Malraux, considéré comme «un admirable couple de révolutionnaires» en qui il y avait «autre chose», c'est-à-dire l'art…

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