Paule Neuveglise, «Révélations sur les “Antimémoires” – 600 pages de souvenirs de Malraux», «France-Soir», 29 août 1967, p. 4.

Paule, Neuveglise, France-Soir, 29 août 1967, p. 4.

Révélations sur les Antimémoires – 600 pages de souvenirs de Malraux.

Le 1er tome d'une série de quatre sortira en librairie dans quelques semaines.

Le ministre écrivain n'avait publié aucun livre depuis 1957.

 

Voici bien l'œuvre la plus attendue qu'un auteur ait jamais publiée; six cent trente-trois pages de souvenirs : les Antimémoires d'André Malraux, qui vont marquer la rentrée littéraire.

Pourquoi Antimémoires ?

«Ce qu'on trouvera ici, écrit-il, c'est ce qui a survécu. Parfois, je l'ai dit, à condition d'aller le chercher. Les dieux ne se reposent pas de la tragédie que par le comique : le lien entre L'Iliade et L'Odyssée, entre Macbeth et Le Songe d'une nuit d'été, est celui du tragique et d'un domaine féerique et légendaire. Notre esprit invente ses chats bottés et ses cochers qui se changent en citrouilles à l'aurore, parce que ni le religieux ni l'athée ne se satisfont complètement de l'apparence. J'appelle ce livre Antimémoires, parce qu'il répond à une question que les Mémoires ne posent pas et ne répond pas à celles qu'ils posent; et aussi parce qu'on y trouve, souvent liée au tragique, une présence irréfutable et glissante, comme celle du chat qui passe dans l'ombre, celle du farfelu dont j'ai sans le savoir ressuscité le nom.»

Depuis dix ans, depuis 1957, l'année où parut La Métamorphose des Dieux, l'écrivain s'était effacé, semblait-il, derrière l'homme politique appelé par de Gaulle en 1958 (il avait déjà appartenu à son cabinet de 1945–1946), devenu ministre d'Etat chargé des Affaires culturelles en 1959.

Depuis deux ans, on savait qu'il rédigeait ses souvenirs et devait les publier chez son éditeur habituel Gallimard.

 

Un livre né en Asie

En fait, on savait peu de chose. Mais déjà les éditeurs étrangers, avant de connaître une ligne du texte, faisaient des offres considérables (on parla de 1.250.000 francs pour l'Amérique seulement).

Le bruit courut que l'œuvre était née au cours d'un voyage en Extrême-Orient entrepris pour raisons de santé, mais qui, de par la personnalité du voyageur et les rencontres qu'il devait faire, prenait une importance politique. Bruit qui s'avère exact, puisqu'il le précise lui-même :

«Je reprends, par ordre des médecins, cette lente pénétration, et regarde le bouleversement qui a empli ma vie sanglante et vaine, comme il a bouleversé l'Asie, avant de retrouver, au-delà de l'océan, Tokyo où j'envoyai la Vénus de Milo, Kyoto méconnaissable, Nara presque intacte malgré son temple incendié – retrouvées naguère après un jour d'avion – et la Chine que je n'ai pas revue. “Jusqu'à l'horizon, l'Océan glacé, laqué, sans sillages…” Je retrouve devant la mer la première phrase de mon premier roman, et, sur le bateau, le cadre aux dépêches où l'on afficha, il y a quarante ans, celle qui annonçait le retour de l'Asie dans l'Histoire : “La grève générale est proclamée à Canton.”


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