Pierre Descaves, André Malraux : Témoin capital», La Guilde du Livre, février 1947, p. 63-64.
C'est avec un recueil intitulé Scènes choisies que M. André Malraux effectue une rentrée littéraire à la fois discrète et utile. L'écrivain a certes de grands et vastes projets puisqu'il annonce à la fois la prochaine publication d'un roman La Lutte avec l'Ange [1], une esquisse sur l'histoire du cinéma, et un essai sur le colonel Lawrence, Le Démon de l'Absolu.
La reprise de contact de M. André Malraux avec le public ne pouvait mieux se faire qu'avec ses Scènes choisies. Un recueil des meilleures pages du romancier de La Condition humaine, du Temps du Mépris et d'Espoir familiarisera de nombreux lecteurs avec une pensée vibrante, originale et dont certaines «prophéties» prennent avec le recul un relief saisissant. A ce propos, l'éditeur a rappelé l'opinion d'un critique qui a écrit : «Le monde s'est mis à ressembler aux romans d'André Malraux.»
C'est lui-même qui a opéré le choix des textes et le lecteur sera ainsi assuré d'avoir l'essentiel de son message.
A quarante-cinq ans (il les aura en novembre prochain), M. André Malraux se situe sur de solides positions et sans avoir jamais offert de prise à l'imitation. C'est un isolé. Il n'y a pas en lui de tics, d'habitudes, de procédés; rien de tout ce clinquant racoleur qui suscite les disciples et forme les petites chapelles. Solitaire, sa solitude l'a élevé. Il a su puiser en lui, inlassablement, d'étonnantes ressources. Sa race éclate dans ses livres, dans ses essais, dans ses propos, dans sa démarche rapide et dans l'éclat de ses yeux, fortement enfoncés sous un vaste front que balaient de grandes mèches rebelles. Une cigarette creuse éternellement aux coins de la bouche, ce pincement impressionnant des lèvres, tandis que se durcissent, sur un visage osseux, des méplats saillants. Figure de proue où se lit, comme à livre ouvert, ce lyrisme de la volonté, qu'il a abondamment répandu dans son œuvre.
[1] Paru aux Editions Skira à Genève.
