Image of Pierre-Henri Simon : «“Antimémoires”, d'André Malraux», «Le Monde», n° 7062 («Le Monde des livres»),  27 septembre 1967, p. 1.

Pierre-Henri Simon : «“Antimémoires”, d'André Malraux», «Le Monde», n° 7062 («Le Monde des livres»), 27 septembre 1967, p. 1.

Mais pourquoi Antimémoires ? Dans quelques pages d'introduction, Malraux réussit beaucoup mieux à définir son projet qu'à justifier son titre. Si l'homme, pense-t-il, existe dans ses actes mieux que dans ses secrets, le passage des mémoires aux confessions est une chute : il substitue aux grandes actions des grands hommes les petites histoires des individus; sur cette pente, la névrose deviendra plus intéressante que la volonté, et connaître un homme finira par vouloir dire «connaître ce qu'il y a en lui d'irrationnel, ce qu'il ne contrôle pas, ce qu'il effacerait de l'image qu'il se fait de lui». Ce n'est pas en ce sens que Malraux a voulu se connaître, ni qu'il a regardé et représenté de Gaulle, Nehru et Mao. Il prétend n'estimer l'individu que dans son rapport à une transcendance. «Ce qui m'intéresse dans un homme quelconque, c'est la condition humaine; dans un grand homme, ce sont les moyens et la nature de sa grandeur; dans un saint, le caractère de sa sainteté. Et quelques traits qui expriment moins un caractère individuel qu'une relation particulière avec le monde».

Voilà donc exclues la biographie privée et la confession publique, et nous ne trouverons ni l'une ni l'autre dans ce panorama d'une vie mêlée à quarante ans d'histoire de l'Europe et de l'Asie. En revanche, les rapports avec le gaullisme, les voyages aux Indes et en Extrême-Orient de 1923, de 1929, de 1958 et de 1965, les missions aux Antilles pour le référendum, à Delhi auprès de Nehru, à Hanoï chez Ho Chi Minh [?], à Pékin chez Mao, font abonder le pittoresque des décors, la psychologie des portraits, les analyses aiguës et informées des situations politiques, les vues prospectives de l'avenir des nations et des continents. En tout cela, nous sommes bien dans la tradition classique du genre des Mémoires, historiques dans leur étoffe, prenant les hommes dans leurs desseins, leurs attitudes et leurs actes, celui qui se raconte n'étant pas seulement un témoin, mais un acteur. Malraux ne se juge digne de se raconter que par sa participation à une aventure collective : «Que m'importe ce qui n'importe qu'à moi ?»


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