Image of Claude-Marie Tremois : «Malraux le visionnaire “Nous sommes la première civilisation sans valeur suprême”», «Télérama», 30 avril 1972, n° 1163, p. 6-9.

Claude-Marie Tremois : «Malraux le visionnaire “Nous sommes la première civilisation sans valeur suprême”», «Télérama», 30 avril 1972, n° 1163, p. 6-9.

André Malraux : un écrivain ? Un homme politique ? Un penseur ? Peut-être, mais ce n'est pas ce Malraux-là que Claude Santelli va nous faire découvrir pendant cinq semaines, en cinq émissions de cinquante minutes, puis, à la rentrée, pendant encore cinq autres semaines. En tout, près de neuf heures passées en compagnie de celui que Pierre Schöndoerffer (le réalisateur de La 317e section) appelle : «Le plus grand poseur de questions de notre époque».

L'André Malraux dont Claude Santelli nous invite à faire la connaissance fut, bien sûr, le combattant révolutionnaire de la guerre d'Espagne, l'auteur de L'Espoir, de La Condition humaine et Antimémoires, le résistant, le gaulliste devenu ministre de la Culture, mais il est plus encore : «un visionnaire, dit Claude Santelli, un prophète, un homme enfin, qui, avec un plaisir évident, nous fait part de ses préoccupations les plus profondes». Ce Malraux-là pourrait bien décevoir les intellectuels comme les amateurs d'autobiographie croustillante, mais devenir le héros d'une grande émission populaire, au même titre que ces héros de feuilleton du samedi soir dont il va prendre la place pendant cinq samedis consécutifs.

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La Légende du siècle. Le Peuple de la nuit. Les Papillons de Singapour… Un titre et des sous-titres pour rêver. Ah ! nous sommes loin d'une série morose d'entretiens sérieux avec un monsieur célèbre.

La rencontre de Claude Santelli et d'André Malraux a donné naissance à des émissions passionnantes, lyriques, fascinantes. Et l'on en sort à la fois éblouis et bouleversés. C'est qu'elle s'achève sur une évocation des camps de concentration, tirée des Antimémoires et lue par Alain Cuny, qui est sans doute le texte le plus beau et le plus insoutenable qu'on ait jamais écrit sur les camps, la dégradation de l'homme et le mystérieux avilissement des bourreaux. «Satan, c'est le dégradant» dit Malraux.

Oui, Malraux-Santelli étaient faits pour se rencontrer. Ils se ressemblent. Ils ont les mêmes dieux : Victor Hugo, Michelet. Ce sont des lyriques, des passionnés. Et tous deux restent des hommes du XIXe siècle fortement engagés dans le XXe. C'est-à-dire, dit Claude Santelli «des hommes qui ont conservé l'idéal de justice du XIXe siècle».

Et ce n'et pas non plus un hasard si Malraux a construit ses Antimémoires un peu comme Santelli construit ses Cent livres : en refusant la chronologie, en faisant éclater les barrières du temps, en rapprochant ce qui doit être rapproché, sans se soucier de la logique, mais en obéissant à une autre logique, invisible, qui se joue des apparences et met soudain en lumière ce qui est universel, éternel, à travers les siècles et l'espace.


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