Elisabeth Porquerol, «Malraux à propos d'Israël», «La Guilde du Livre», n° 4, avril 1956, p. 152-153.

Elisabeth Porquerol, «Malraux à propos d'Israël», La Guilde du Livre, n° 4, avril 1956, p. 152-153.

 

… Cet homme qui a accepté le voyage sur la terre, qui a consenti à vivre son inquiétude, peut-être parce qu'il a douté de sa liberté, parce qu'il a été tenté de comprendre jusqu'où peut conduire le mécanisme du destin, ceux qui auront l'avantage de regarder avec recul notre époque risquent de leur reconnaître un identique visage.

Si Malraux compte, compte plus que les autres, c'est qu'il a accompli et traduit, presque à la perfection, l'aventure de sa génération. Il a lancé sa personne, jusqu'à son corps, dans une épreuve ratée ou dépassée, tentée ou frôlée, pour le moins envisagée par ceux qui, comme lui, ont l'âge de ce siècle.

La vie apparut soudain si absurde que la première question à se poser était : «Vaut-elle la peine qu'on s'en charge ?» Il semble bien que Malraux l'ait abordée en s'accrochant au mot : peine.

Démuni de l'idée chrétienne d'un châtiment aussi vieux que la faute originelle, sans espoir de rédemption et sans crainte de damnation, comment accepter cette incroyable capacité que l'homme possède de souffrir, et les assauts incessants de la misère et de la douleur auxquels – voici le miracle – il n'a jamais succombé complètement.

Dans ce pouvoir insensé de tenir, de supporter, de défendre et de glorifier sa vie, jusqu'aux limites du désespoir et de la mort, il y a une étrange grandeur. Ne touche-t-on pas là à un secret ? L'homme aurait-il le privilège de porter en lui quelque chose qui lui appartient à peine ? Qui le dépasse et le surpasse.

C'est à connaître cette grandeur, le plus près possible, chez tous ceux qui la pratiquent et soi-même, se mesurer à elle, la peser, s'en saturer et l'interroger que Malraux, avec l'intelligence enivrée que l'on sait et le talent aigu qu'il possède, a consacré son œuvre et sa vie.

 


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