Image of Gérard Barrière : «L'attitude Malraux – Une exposition cet été à la fondation Maeght, un livre par Jean Lacouture, bientôt le 2e tome de La Métamorphose des Dieux. Ah ! Comprendre Malraux…», «Connaissance des arts», juillet 1973, n° 257, p. 42-43.

Gérard Barrière : «L'attitude Malraux – Une exposition cet été à la fondation Maeght, un livre par Jean Lacouture, bientôt le 2e tome de La Métamorphose des Dieux. Ah ! Comprendre Malraux…», «Connaissance des arts», juillet 1973, n° 257, p. 42-43.

Si Malraux fascine, c'est qu'il est l'homme d'un mystère. Je ne veux point parler là de «ce misérable petit tas de secrets» qu'il a si bien su protéger – «qu'importe ce qui n'importe qu'à moi» –, non plus que du faux et usé problème de son parcours politique. Non, le mystère est d'une autre importance. Malraux moins le mythe Malraux, que reste-t-il ? Reste-t-il même quelque chose ? On ne peut s'empêcher d'évoquer à son propos le fameux couteau des surréalistes qu'ils se proposaient d'imaginer sans lame et au manche manquant. Imaginez un Malraux sans Mao et auquel il manquerait Angkor. Imaginez que tombent les fabuleux décors dont il entoura sa vie : les grèves de Shanghai, la sierra de Teruel, la Grande Muraille, la cathédrale de Strasbourg et celle de Brasilia. Otez de votre mémoire les grandioses destins auxquels il accrocha un instant le sien : Trotsky, Nehru, de Gaulle. Tous ces chênes abattus que reste-t-il de celui qui, génial saprophyte, semble vivre de leur sève autant que de leur ombre ? Posons-nous la question autrement : l'admiration qu'on lui porte, ou plutôt la fascination qu'il nous arrache, tient-elle à autre chose qu'à la secrète envie que nous ne pouvons nous retenir d'éprouver face à une telle aventure ? Le test est révélateur. Car, à l'inverse de ce qui se passe pour le couteau des surréalistes, ce n'est pas le néant que retient notre esprit après s'y être livré, mais l'essentiel.

Avant son œuvre, c'est par sa vie que Malraux nous enseigne qu'«au destin de l'homme, l'homme commence et le destin finit». C'est par sa vie, de Bentea-Srei à la rue de Valois, que Malraux nous enseigne qu'il ne s'agit de rien d'autre ici-bas que de «transformer en conscience une expérience aussi large que possible». Peut-être ne reste-t-il rien de Malraux si on lui retire Nehru et Ajanta, Trotsky et Eisenstein, mais il ne resterait rien non plus de nous tous si l'on nous retirait les plus humbles de nos expériences, les plus anodines de nos rencontres. Pour Malraux, l'échelle est autre, voilà tout, elle est celle du siècle. Il ne faut pas chercher ailleurs l'origine de ce faux problème, de ce mystère qui n'a jamais existé.


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