Image of «Interview de Clara Malraux – Par celle qui fut sa femme, propos inattendus sur le vrai André Malraux», «Playboy», janvier 1977, n° 38, p. 23-24, 26-27, 101-102.

«Interview de Clara Malraux – Par celle qui fut sa femme, propos inattendus sur le vrai André Malraux», «Playboy», janvier 1977, n° 38, p. 23-24, 26-27, 101-102.

Playboy : Malraux a dit un jour : «Je sculpterai ma propre statue». On a l'impression à lire vos souvenirs que vous n'avez pas cessé de déboulonner cette statue.

Clara Malraux : On a tort. J'ai toujours dit que c'était un homme extraordinaire, un homme de génie, mais plus ça va, plus j'ai une certaine tendance à constater que les hommes de génie sont tous un peu mythomanes. Ce qui me gêne dans la mythomanie des hommes de génie, c'est qu'elle tend toujours à leur accorder encore un peu plus de prestige qu'ils n'en ont naturellement. Il me semble que si j'était Dieu le Père, je n'ajouterais pas à mes mérites !

Playboy : C'est donc cette part de mythomanie que vous avez mise en valeur, ce qui est une autre manière…

Clara Malraux : J'espère avoir mis quelque chose d'autre en valeur : ce que pouvait faire une femme à une époque très difficile. L'homme que j'ai aimé, l'homme que j'ai épousé, n'était pas le mythomane. Je l'ai aimé malgré sa mythomanie, qui n'a tout de même rien dérangé à nos rapports profonds.

Playboy : C'est vrai que dans vos souvenirs, vous n'avez jamais diminué Malraux. Au contraire, vous en avez montré l'extraordinaire richesse. Vous avez fait le meilleur portrait de lui, celui qui le rend le plus attachant justement, et précisément en le débarrassant de tout ce que lui-même et ses hagiographes y avaient ajouté en légende.

Clara Malraux : C'est la face enfantine du génie. Peut-être aussi le génie est-il fonction de cette possibilité d'un certain enfantillage, de cette facilité à croire que ce qu'il a rêvé a été vrai. Il se trouve que j'ai souffert de ces rêves – ce sont des choses qui arrivent – et que je ne pouvais pas reconquérir mon dû sans préciser que certaines choses étaient des rêves et pas des réalités. Mais il n'y a jamais eu dans ce que j'ai écrit ou fait, une volonté de le diminuer ou de le minimiser. Il y a seulement la volonté de récupérer mes propres gestes.

Playboy : Lesquels par exemple ?

Clara Malraux : Le fait que j'ai épousé un garçon qui n'avait pas vingt ans, dont la figure était encore mal dessinée, qui manifestement avait du génie, mais un génie qui ne s'était pas encore manifesté, même s'il était sensible aux gens qui l'approchaient et qui n'étaient pas légion à l'époque. Si je me reconnais un mérite, c'est d'avoir pressenti, dans ce presque gamin, l'homme qu'il pouvait devenir.


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