«La Quinzaine littéraire», 16 au 31 mars 1977, n° 590, p. 9. Pierre Boudot : «Le message posthume de Malraux à l'usage des bacheliers futurs André Malraux» – «L'homme précaire et la littérature» (Gallimard, 332 p.)

La Quinzaine littéraire, 16 au 31 mars 1977, n° 590, p. 9.

 

Pierre Boudot

Le message posthume de Malraux à l'usage des bacheliers futurs

André Malraux – L'homme précaire et la littérature (Gallimard, 332 p.)

 

A la fin des Noyers de l'Altenburg, Walter livre au vent du désert les feuilles du livre dont la conception a donné un sens à sa vie. Défi sublime ou dérision misérabiliste de nanti face au génie, humilité de mystique laïque ou vanité de baron de Clappique qui joue vis-à-vis de soi les Sainte-Beuve de salon, héroïsme du vide ou fantasme de marinier qui se prend pour Shakespeare devant les peupliers courbés sous la tempête, le geste de Walter s'impose à l'esprit quand on lit L'Homme précaire et la littérature.

 Voici donc que dans le désert de la mort, Malraux semble s'interpeller pour nous faire distinguer ce qui sépare son tombeau du Panthéon où il n'entrera pas. Le style reste haletant mais il ne dit qu'une chose : «ici se désagrègent les limites du talent». Rarement autant que dans ces pages, Malraux a ainsi confessé sa préférence pour le littérateur contre l'écrivain, privilégié l'illusionnisme contre la création. Derrière une verbosité confuse, le lyrisme montre sa complaisance. Le temps, les forces et l'événement ont manqué à l'auteur : il n'a pu se dissimuler.

L'évidence tient à une remarque : Malraux n'avait pas de respect pour le mot. Son livre s'ouvre sur un long résumé d'artifices de sa mémoire rassemblés par lui sous le concept d'imaginaire. C'est négativement par conséquent qu'il définit la littérature. A la fin pour ce qu'il n'en dit pas, par les lacunes (le XXe siècle est absent), par l'arbitraire des rapprochements. La littérature est ce que Malraux aborde quand il a fait le tour du reste. Et dans ce reste, est niée son époque, sont négligées ses découvertes sur la nature du mot ou la métamorphose de ses absences. Halluciné par ce qui lui fut refusé, Malraux fouille quelques grandes œuvres. A grandes enjambées il relie Tristan à la Bhagavad-Gîtâ, Madame de La Fayette à Gide. Tout cela sent le procédé et le lien entre l'exotique, le mal connu et le connu est de peu d'intérêt dès lors que les raccourcis répètent inlassablement le banal : Malraux lecteur s'ennuie si le texte n'offre rien à Malraux voyeur. Ce qui fait de ce livre posthume un témoignage intéressant car si on connaissait les structures de l'incantatoire on n'avait pas encore observé d'aussi près ce qu'il en reste quand il ne fonctionne plus.

C'est pourtant notre temps qui explique les choix que Malraux nous propose. La révérence à Flaubert ne nous semble si gratuite que parce que nous devinons que sans l'œuvre de Sartre, Malraux ne l'aurait pas faite. Les modalités du recours à Stendhal sont fondées sur les fulgurances de Nietzsche, le premier à avoir parlé des romans d'Henri Beyle comme d'un imaginaire de la «force». La présence de Gide – bien qu'il soit de notre temps – ne serait sans doute pas si forte sans le texte dans lequel Trotsky oppose sa rigueur à l'incohérence de Malraux.


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