«Les lettres nouvelles», 1er juillet 1959, p. 1-4. Maurice Nadeau : «Lettre ouverte à André Malraux»

Les lettres nouvelles, 1er juillet 1959, p. 1-4.

Maurice Nadeau : «Lettre ouverte à André Malraux»

 

Monsieur le Ministre,

Au moment où vous preniez possession de la haute fonction à laquelle vous appelait la confiance du général de Gaulle, vous déclariez que le nouveau gouvernement briserait avec les habitudes pernicieuses de ceux qui l'avaient précédé. Incarnant désormais «la France», sa «grandeur», sa «générosité», sa «mission traditionnelle», le gouvernement ne souffrirait pas que se perpétue en Algérie l'une des institutions honteuses qui fut un des tristes apanages de la IVe République de MM. Guy Mollet et Robert Lacoste : la torture. Comme nous, vous aviez en outre été sensible au scandale de l'assassinat (camouflé en disparition) de Maurice Audin. La question d'Henri Alleg vous avait laissé si peu indifférent que la saisie du livre par les «princes» qui vous ont précédé suscitait de votre part une protestation publique. En déclarant solennellement que depuis l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle «la torture avait disparu en Algérie» et en offrant à trois écrivains français internationalement consacrés d'aller se rendre compte sur place du sérieux de votre affirmation, vous nous aviez mis en état de vous croire. Vous étiez Ministre sans doute, mais vous étiez également l'auteur du Temps du mépris et votre parole d'écrivain ne pouvait être mise en balance avec celle de politiciens qui ont fait le déshonneur de la France. Votre présence aux côtés du général de Gaulle constituait même auprès de beaucoup la caution dont ils avaient besoin pour ne pas désespérer d'une cause qui sans doute vous dépasse mais que vous avez magnifiquement illustrée : celle de la dignité de l'homme face à toutes les tentatives d'abaissement et d'humiliation.


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