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«Les Nouvelles Littéraires», 25 mars 1971, n° 2270, p. 1 et 10.

Les Nouvelles Littéraires, 25 mars 1971, n° 2270, p. 1 et 10.

Jean d'Ormesson : «La fin des géants – André Malraux : Les Chênes qu'on abat».

 

Ces enluminures naïves qui présentaient Aristote aux côtés d'Alexandre, Auguste avec Virgile, saint Louis avec Joinville, Michel-Ange et Jules II, Tamerlan et Ibn-Khaldoun – ou si vous y tenez absolument, puisqu'il en faut pour tous les goûts, la célèbre conversation entre le roi Dagobert et son ministre saint Eloi, – voilà qu'elles revivent sous nos yeux : ce n'est pas tous les jours que la légende naît de l'histoire. La rencontre de l'auteur de La Condition humaine et du libérateur, c'est le reflet des rencontres de Napoléon avec Chateaubriand, avec Goethe, avec Hegel. C'est l'histoire qui s'arrête un instant dans le fracas des batailles et des cérémonies, et qui prend conscience d'elle-même.

Les Chênes qu'on abat… sont d'abord une interview du général de Gaulle comme La Condition humaine était un reportage sur la Chine. Et même moins qu'une interview : le simple récit d'une conversation sans apprêts dans un salon bourgeois d'une gentilhommière de province, et de quelques propos de table avec histoires drôles et anecdotes. Mais beaucoup plus qu'une interview. C'est que quelque chose est passé par là qu'il est difficile d'appeler autrement que le génie de l'histoire. Pendant les quelques heures qui entourent un repas comme, tous tant que nous sommes, nous en faisons deux fois par jour, une méditation s'élève sur la France, sur l'honneur des hommes, sur le temps qui s'écoule, sur le sort des empires, sur la grandeur et la mort.

Entre le général et André Malraux se tisse une espèce de chant lyrique et épique où les deux voix finissent par se confondre en une seule, au point que se distinguent à peine les apports de l'un et de l'autre. Au fur et à mesure que le lecteur s'avance dans le livre, l'idée d'une interview, qui s'était d'abord imposée, s'estompe jusqu'à s'évanouir. Qui parle ? Est-ce de Gaulle par la bouche de Malraux ? N'est-ce pas plutôt Malraux sous les traits de De Gaulle ? L'une et l'autre hypothèse ont pu être soutenues. Certains ont cru reconnaître le style du romancier dans les réflexions du général, d'autres les idées du général dans les interventions de Malraux.

Laissons là ces broutilles. Comment ne pas entendre que ce qui parle, c'est l'accord de deux hommes qui se sont fait, en leur temps, une des idées les plus hautes de ce qui les intéresse avant tout : c'est-à-dire le destin de la France et la dignité de l'homme ?


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