Image of Suzanne Chantal : «Un amour d'André Malraux – Naissance de l'amour fou», «Elle», 24 mai 1976, n° 1585, p. 18, 20, 22, 24, 26, 28 et 30.

Suzanne Chantal : «Un amour d'André Malraux – Naissance de l'amour fou», «Elle», 24 mai 1976, n° 1585, p. 18, 20, 22, 24, 26, 28 et 30.

Ce sont les années heureuses.

Ils vivent comme des anges et ne veulent pas savoir les choses. Quelles choses ? Celles qui dérangent leur merveilleuse entente. D'abord, les autres, ceux qui existent, à Beaune ou rue du Bac, mais qu'ils ont totalement gommés. Elle a réussi à être totalement libre d'aller et venir, regagnant la maison paternelle comme une auberge où elle a ses habitudes douillettes, ses manies, l'assurance de n'être jamais dérangée dans son indolence et ses rêves.

A son père, elle a fait de demi-confidences. Il a rougi très fort, son cou puissant, ses larges joues empourprées d'une émotion muette. Car il n'a pas eu un mot de réprobation ni de surprise. Sans doute savait-il déjà. Josette, sourde, absente, invulnérable, sûre d'elle cette fois, n'entend même pas ce que dit sa mère. Rien ne peut plus la faire douter, dans l'humiliation et l'amertume : Elle sait, depuis le premier jour où elle a vu André, qu'elle ne peut aimer meilleur que lui. Et il l'aime. «Je ne comprends pas les gens qui peuvent s'arranger avec l'humilité, lui écrit-il. Il faut se dire : “Il est plus intelligent, mais je suis une femme. Elle est jolie, mais j'ai l'œil plus grand. Elle a été plus importante, seulement elle est morte. Elle fait du cinéma, mais je suis plus heureuse.Surprise. Moi que je crois si sage, je m'aperçois que ce qui m'intéresse le plus, c'est l'orgueil : celui, surtout, de vous. Puisque vous m'aimez, je puis me tenir debout.» Clara non plus n'existe pas. Ils ne parlent jamais d'elle. Au début de leurs rencontres, il la nommait, simplement, quand elle avait un rôle dans le récit qu'il faisait. Mais, peu à peu, il a pris l'habitude de mettre du vide à toutes les places qu'elle a occupées près de lui. Cela convient à Josette. Quand il lui arrive, par hasard, de penser à Clara, elle chasse cette pensée comme les premières communiantes chassent l'idée du péché. Elle est choquée de ce qui a existé entre André et cette femme. Elle a entendu Malraux répondre à une journaliste qui l'interrogeait sur ses rêves : «Je rêve d'araignées, que j'ai en horreur !» On avait évidemment parlé alors de psychanalyse. Ce genre de cauchemar est fréquent chez ceux et celles qui ont des rapports intimes avec des personnes qui ne leur plaisent pas physiquement. Elle en avait alors éprouvé un secret plaisir, bien qu'à cette époque elle n'eût jamais imaginé qu'il serait un jour son amant.


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